Située à la rencontre des rues Levert, de la Mare, des Envierges, des Couronnes et des Cascades, cette place (nommée en 2004 en l’honneur du syndicaliste Henri Krasucki) devient le théâtre d’un roman qui vient de sortir.

Écrit par Will Mountain Cox, un écrivain Américain qui habite le 20e arrondissement depuis une dizaine d’années, “Roundabout”, que l’on peut traduire par “rond-point” est publié en anglais par la maison d’édition américaine Relegation Books. En attendant une possible traduction et parution en français. “Le livre se déroule autour du rond-point de la place Henri Krasuki, lieu qui a toujours occupé une place très importante dans ma vie parisienne”, explique Will Mountain Cox. “Le livre suit un groupe d’amis à Paris qui sont confrontés aux différentes perturbations engendrées par l’approche de la trentaine, les traumas que Paris a traversé ces dix dernières années, résistant tant bien que mal au besoin de quitter la ville et de changer de vie”, poursuit l’auteur. 

Qui est Will Mountain Cox ? Né à Portland (Oregon, États-Unis) ce diplômé de la Boston University et de Science Po Paris vit à Paris depuis dix ans. Sa fiction et ses poèmes ont été publiés par Forever Magazine, Hobart, The Drunken Canal, Shabby Doll House et Spectra Poets, parmi d’autres. Il est l’auteur de With Paris in Mind, un recueil d’interviews avec de jeunes artistes vivant à Paris, et le cofondateur de Belleville Park Pages, un magazine littéraire dont l’objectif était de mettre en avant le travail d’écrivains du monde entier à leurs débuts. Roundabout est son premier roman. Il y met en avant un Paris multiculturel, en inscrivant son histoire dans le 20e arrondissement. 

> Roundabout de Will Mountain Cox (15 $), en stock dans les librairies Bokbar (72, rue Julien Lacroix) et Shakespeare and Company (Paris 5e). Disponible également en ligne et le 23 janvier 2024 lors d’un événement à l’American Library in Paris.

DES EXTRAITS. En anglais et en français, traduits pour Mon Petit 20e par Charlotte Bridge.

The eight of them sat around a circle table, themselves taking on a circular shape, an imperfect ring hugging an unchanging guide—their table, in their bar—the geometry not far off from the old roundabout circling around outside the dirty plate glass windows. Inside the roundabout grew a dry beech tree three stories high. Inside the bar sat Rachel, Matthew, Jude and Léa, Marie, Eli, and then the empty chairs of Pierre and Sarah, their absence so fresh it was itself still embodied. And outside the roundabout, Rue des Cascades and Rue Levert, Rue de la Mare and Rue des Envierges, Rue des Couronnes and last, la Mare’s other arm. Six concrete paths converging to form a traffic circle high up on the hills east of Paris.

It was late but still light thanks to the long Parisian summer with its blued-out evening silvers. Inside the bar it was dark, with the bar lights cutting on and off intermittently, a kind of twinkling to replace the night sky’s missing stars, a side effect of being connected by old extension cords that crisscrossed coat hooks bored into the ceiling. Their bar was a bric-a-brac bar, like so many bars in Paris used to be, with useless, hoarded trinkets lining the walls, a unique patron, and a broken toilet.

Ils étaient huit, assis autour d’une table ronde, eux-mêmes en cercle, un anneau imparfait épousant la forme de leur guide immuable — leur table, dans leur bar — la géométrie n’étant pas très éloignée de celle du vieux rond-point qui tournait dehors de l’autre côté des vitrines sales. À l’intérieur du rond-point poussait un hêtre sec haut de trois étages. A l’intérieur du bar étaient assis Rachel, Matthieu, Jude et Léa, Marie, Eli, et puis les chaises vides de Pierre et Sarah, leur absence si fraîche qu’elle était elle-même encore incarnée. Et par delà le rond-point, la rue des Cascades et la rue Levert, la rue de la Mare et la rue des Envierges, la rue des Couronnes et enfin l’autre bras de la Mare. Six chemins de béton qui convergent pour former un rond-point sur les hauteurs des collines à l’est de Paris.

Il était tard mais il faisait encore jour du fait de ce long été parisien et à ses soirées d’argent bleutées. À l’intérieur du bar, il faisait sombre, les lumières s’allumaient et s’éteignaient par intermittence, une sorte de scintillement remplaçant les étoiles manquantes du ciel nocturne, effet corolaire du raccordement par le biais vieilles rallonges qui s’entrecroisaient dans des patères accrochées au plafond. Leur bar était un bar de bric-à-brac, comme il en existait tant à Paris, avec des bibelots inutiles et accumulés qui tapissaient les murs, un patron unique et des toilettes cassées.

2. Filling out the roundabout were never fewer than three bohemians, the sort who were beautiful in the Paris of the 1990s, meaning they wore leather jackets and boots, loved rock music and mussed hair, and now had at least one but never more than two missing teeth. They shared the space with children who tided through the circle, constantly pulsing, in exchange with balls that moved in similar directions, often of their own accord due to the roundabout’s slight southwesterly slope downward toward Rue des Couronnes and Rue de la Mare. Around the roundabout there was a tabac that claimed a fat, low dog whose belly dragged, who the tabac clients called Cigarillo, though that was not his name. There was also a bakery, a school, a laundromat, and two other bars, one billing itself for artists—the source of the bohemians, who leaked from it—and the second a bar-restaurant for the gentrifiers, where wine was somehow cheaper than at the bar for artists, a truth that confounded the neighborhood. The bar-restaurant served good food but bad french fries. The artist bar, bad food and no french fries at all. On this evening, a man stood in the raised dirt heart of the roundabout, the heart held in a ring by a circle of old paving stones. At first, the man seemed to converse with the beech tree, nodding to it, looking it up and down. The conversation was civil until it appeared that the tree began teasing the man, then downright insulting him. Insulted, the man began circling the tree, taunting it, saying something the likes of, Move why don’t you. Unflinching, the tree stood firmly planted. So as not to lose face, the man promptly began fighting the tree, but slowly, like a Brazilian dancer fights, with spins and kicks and dangerous flashings of his own ass. In the dark, few saw the man, but those who did thought to themselves, What the hell is going on. The man was drunk, clearly, but that didn’t seem to have anything to do with it.

 Remplissant le rond-point, il n’y avait jamais moins de trois bohémiens, ceux qui étaient beaux dans le Paris des années 1990, c’est-à-dire ceux qui portaient des vestes en cuir et des bottes, aimaient la musique rock et les cheveux ébouriffés, et qui avaient au moins une, mais jamais plus de deux dents manquantes. Ils partageaient l’espace avec des enfants qui traversaient le cercle, dans un sens puis dans l’autre, par vagues, pulsant constamment, accompagnés par des ballons qui se déplaçaient dans des directions similaires, souvent de leur propre chef en raison de la légère pente du rond-point vers le sud-ouest qui descendait vers la rue des Couronnes et la rue de la Mare. Autour du rond-point, il y avait un tabac que s’appropriait un gros chien, court sur pattes, dont le ventre traînait, que les clients du tabac appelaient Cigarillo, bien que ce ne fut pas son nom. Il y avait aussi une boulangerie, une école, une laverie et deux autres bars, l’un se présentant comme étant pour celui des artistes—la source des bohèmes, qui s’en écoulaient—et le second, un bar-restaurant pour les gentrifieurs, où le vin était étonnamment moins cher qu’au bar des artistes, une vérité qui laissait le quartier perplexe. Le bar-restaurant servait de bons plats mais de mauvaises frites. Le bar des artistes, de mauvais plats et pas de frites du tout. Ce soir-là, un homme se tenait dans le cœur en terre surélevé du rond-point, un cœur maintenu dans un anneau de vieux pavés. Au début, l’homme semblait converser avec le hêtre, hochant la tête, le regardant de haut en bas. Une conversation civilisée jusqu’à ce que l’arbre se mette à taquiner l’homme, puis à l’insulter carrément. Offensé, l’homme a commence à tourner autour de l’arbre, à le narguer et à lui dire quelque chose du genre, Bouge, allez vas-y. Inébranlable, l’arbre est reste fermement planté. Pour ne pas perdre de crédibilité, l’homme a commence à se battre contre l’arbre, mais lentement, comme un danseur brésilien se bat, avec des pirouettes, des coups de pied et de dangereuses apparitions de son propre cul. Dans le noir, peu de gens ont vu l’homme, mais ceux qui l’ont vu se sont dis, Mais c’est quoi ce bordel. L’homme était ivre, manifestement, mais cela ne semblait pas en être la raison.


Photo : merci à Giulia Cremonese @Julieaucontraire pour ce cliché très réussi de la place Henri Krasucki. 

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