“On se fait du souci pour le futur”. Ce sont les mots d’Elisabeth Feldmeyer, directrice de l’AJEFA, l’Association des Jardins d’Enfants Franco-Allemands. Cette association gérée par les parents à travers le conseil d’administration est menacée depuis un décret de 2019 qui rend l’instruction obligatoire dès 3 ans et qui prévoit la suppression des jardins d’enfants.

Au matin du mercredi 17 janvier, c’est l’agitation à la Kinder école de l’AJEFA. Dehors, il pleut, alors on se presse de rentrer dans la résidence où se cache le jardin d’enfants. À l’intérieur, une ambiance chaleureuse et un accueil en allemand avec des éducatrices aux petits soins envers les enfants qui viennent d’arriver. Elles leur enlèvent leurs manteaux perlés de goutte de pluie et les accompagnent jusqu’à la salle de jeux où ils passeront une bonne partie de la journée.

Initialement située au 32 rue des Rasselins et depuis 2018 au 24 rue des Plâtrières, la Kinder école de l’AJEFA du 20e accueille 19 petits et 16 moyens/grands. Deux tiers des enfants sont franco-allemands, mais la structure est ouverte à tous. Les enfants viennent du quartier et des arrondissements voisins. L’équipe pédagogique est à 90 % germanophone, mais maîtrise la langue française. Les éducatrices de jeunes enfants sont majoritaires, mais il y a aussi des employé.e.s doté.e.s d’un CAP petite enfance et des Allemand.e.s venu.e.s d’Allemagne pour effectuer un service civique en France. 

Ici, on parle aux enfants uniquement en allemand, c’est un vrai bain de langue. Quant à la pédagogie, “la particularité d’un jardin d’enfants, c’est de mettre l’accent sur la socialisation, que l’enfant soit à l’aise dans un groupe pour qu’il soit ouvert aux apprentissages”, explique Elisabeth Feldmeyer. La journée est donc rythmée de jeux libres, d’activités dirigées et de moments de langage.

Pourquoi l’AJEFA a choisi notre arrondissement ? Tout simplement parce qu’il y a beaucoup de familles franco-allemandes installées dans le 20e depuis plusieurs générations. Il semblait donc évident de s’installer dans l’Est parisien au moment de sa création en 1974. Ils se sont établis dans le 10e, où l’on compte trois structures. Et un peu plus tard, en 1994, le jardin d’enfants du 20e est né.

Chaque année, les demandes d’inscription à l’AJEFA sont très nombreuses, mais elles le sont de moins en moins depuis le décret de 2019 qui rend l’instruction obligatoire dès 3 ans. L’éducation nationale considère les jardins d’enfants comme un lieu d’apprentissage, mais souligne qu’il y a un problème de ministère. “L’instruction peut être donnée que par l’éducation nationale, par le ministère de l’éducation nationale. L’instruction ne peut pas être donnée par la petite enfance. Ce n’est pas le même ministère. Et les jardins d’enfants ne peuvent, par définition, pas être intégrés dans l’éducation nationale parce que ce sont des éducatrices et pas des institutrices qui y travaillent”, appuie la directrice de l’AJEFA.

Cette décision a suscité une mobilisation dans tous les jardins d’enfants de France et le dépôt d’un amendement pour que “l’instruction puisse être donnée aussi dans un jardin d’enfants”. Ce dernier a été rejeté. Ils ont tout de même obtenu une autorisation de cinq ans pour tous les jardins d’enfants qui se termine cet été. “Pour l’instant, il n’y a pas d’issue. Il y a encore un vote à l’Assemblée nationale le 31 janvier où il va y avoir à nouveau une tentative. Les députés vont proposer que les jardins d’enfants existants puissent continuer, mais c’est pas sûr que ça passe. Et si ça passe pas, cet été il faut qu’on crée une école privée hors contrat“, affirme Elisabeth.

Ce qui va avoir des conséquences financières. Un jardin d’enfants est subventionné par la ville et la CAF comme les crèches. Les parents payent en fonction de leurs revenus. Le tarif est pour certains parents de 50 euros par mois et peut monter jusqu’à 850 euros pour d’autres. Ce qui permet à L’AJEFA d’être accessible financièrement à tous. Dans le cas où elle se transformerait en école privée hors contrat, toute forme de mixité sociale serait perdue. D’après Elisabeth, seul un quart des parents pourraient suivre financièrement. “Pour les familles, c’est très important de venir ici. Souvent, c’est le papa ou la maman qui est franco-allemand, qui a grandi en France. Il parle moins bien l’allemand, pour le transmettre, c’est important d’avoir un soutien”, poursuit Elisabeth Feldmeyer.

Elisabeth Feldmeyer a commencé à travailler à l’AJEFA en 1983 en tant qu’éducatrice, elle est directrice depuis 1989. Elle voit maintenant les enfants des parents qui étaient à l’AJEFA au jardin d’enfants. C’est une preuve pour elle que le projet fonctionne. “On a des contacts avec les écoles primaires. Ils nous disent que les enfants sont curieux, qu’ils savent plein de choses. Ils s’intègrent bien, on a jamais eu de souci. Il n’y a pas de décalage“, raconte Elisabeth. Pour la plupart des enfants, l’allemand reste dans leur vie après l’AJEFA. Ils sont nombreux à continuer l’allemand en primaire et au collège, beaucoup passent l’Abibac et certains travaillent ensuite en Allemagne et dans des instances européennes.

La mairie et les écoles publiques du quartier tendent leurs mains à l’AJEFA pour accueillir les enfants en septembre 2024. Elisabeth Feldmeyer est reconnaissante de cette aide, mais pour les familles et surtout les enfants de l’AJEFA, cela signifierait la fin de leur parcours biculturel et de l’apprentissage de l’allemand. “On a toujours l’espoir que la décision passe à l’Assemblée”, confie la directrice. Il faudra attendre le 31 janvier pour avoir une idée plus précise du sort des jardins d’enfants à la prochaine rentrée. Wir drücken die Daumen ! (on croise les doigts). 

Fanny Velay

Le 20e arrondissement compte 5 autres jardins d’enfants : Jardin d’enfants pédagogique Victor Dejeante, 3 rue Victor Dejeante, Jardin d’enfants pédagogique Schubert, 6 rue Schubert, Jardin d’enfants pédagogique Hélène Jakubowicz , 28 rue Hélène Jakubowicz, Jardin d’enfants Félix Terrier, 8 rue Félix Terrier, Jardin d’enfants Les Benjamins du 20ème (Associatif), 50 bis rue des Prairies.

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