LOVE STORIES – Cela fait un moment que l’on souhaite réaliser des portraits d’habitants du 20e arrondissement. Proposant à tous ceux qui le souhaitent – et qui ont une histoire à raconter, d’apparaître sur Mon Petit 20e. Anne-Marie, 81 ans, a répondu à notre appel.

 

Anne-Marie est réalisatrice et sa vie, un scénario à rebondissements qu’elle séquence en trois périodes : américaine, espagnole, algérienne. C’est pourtant à Paris, qu’elle passe la plus grande partie de son existence, dans 20e arrondissement où elle vit depuis 1977, du côté de la place de la Réunion. Anne-Marie se livre sans fard, sans se soucier de la chronologie. Où qu’elle soit et quel que soit son âge, elle avance avec une liberté insolente. Quand elle évoque les hommes, c’est avec une infinie tendresse. Sa vie semble baignée d’amour. Celui d’un père mort dans un camp de concentration alors qu’elle n’a que 4 ans ; d’une mère joyeuse, généreuse, “toujours entourée de sa meute d’enfants” ; d’un grand-père paternel qui est “la bonté même”. C’est lui qui lui fait aimer les hommes.

Sensible, d’une nature angoissée, la jeune femme se révèle être aussi une aventurière. L’étudiante en tourisme n’a que 22 ans lorsqu’elle part pour l’Amérique. Une femme portoricaine, enseignante à l’Université de Virginie l’a convaincue d’y enseigner le français. Durant la traversée de l’Atlantique en bateau, Clovis et Marc font leur entrée dans sa vie. Le premier écrit une thèse sur Stendhal, le second, futur grand avocat, voyage avec une petite valise et l’œuvre de Lawrence Durrell. Anne-Marie a l’art de rencontrer des personnages de roman. Mais, trois mois après son arrivée à Farmville, en Virginie, la dépression s’installe. L’endroit est trop étroit pour elle, les esprits trop étriqués. Elle part à New-York où elle rencontre Ernie : “Il m’aimait. Moi je l’aimais bien.”.

Nouvelle fugue

Elle prend l’avion avec sa dépression pour compagne. Reprendre contact avec les autres devient alors une urgence. Anne-Marie devient guide. Au milieu des années 60, lors d’une visite à Versailles, elle rencontre deux Afro-Américains. L’un deux n’est autre que Melvin Van Peebles, le futur réalisateur de Sweet Sweetback’s Baadasssss Song, une référence dans la blaxploitation. Pour les avoir invités à monter à bord du bus de touristes dont elle a la charge, Anne-Marie est immédiatement mise à pied. Qu’à cela ne tienne ! L’ennui la guettait déjà…Elle décide alors de tenter sa chance dans le cinéma et se présente au concours d’entrée de l’Idec (l’ancêtre de la Fémis). A sa grande surprise, elle est reçue ! Sa carrière de script et monteuse commence.

Stagiaire sur le tournage de Pierrot le fou, elle garde de Jean-Luc Godard le souvenir d‘un homme profondément gentil. “A ce moment-là, j’avais un nouvel amoureux américain. Norman Jenkins jouait du piccolo à poil et peignait. Il avait l’âge de ma mère. Nous nous retrouvions à La Coupole (à Montparnasse).” Leur histoire ne durera pas, mais comme avec chaque homme qui traverse sa vie, il fait désormais partie de son histoire. Ils resteront amis. Anne-Marie part souvent, mais ne se sépare jamais. Ses œuvres vont d’ailleurs l’aider à tisser la toile qui l’unit aux êtres qui lui sont chers. Parmi eux, il en est un qui compte particulièrement pour elle. C’est Melvin. Depuis leur rencontre à Versailles, ils se retrouvent à chacun de ses passages à Paris. Melvin est un homme à femmes. Anne-Marie, le sait, et elle l’accepte. “C’est fou ce que les femmes aiment les voyous”, confie-t-elle dans un sourire. 

Coup de foudre à Alger

Coté création, elle réalise son premier film en 1973. Une histoire d’Emil et Joaquim est une histoire d’amour, forcément. Trois ans plus tard, une productrice la choisit pour se rendre en Algérie, réaliser un épisode d’une série documentaire intitulée “Les villages à travers le monde”. Elle n’a pas de budget et devra se débrouiller sur place. Constituer seule l’équipe de tournage et trouver une caméra s’avère, en effet, difficile. Six mois après son arrivée à Alger, ses recherches restent infructueuses. Un soir, alors qu’elle se rend chez une amie, un homme lui ouvre la porte. Aïssa est chercheur en anthropologie. Il a sept ans de moins qu’elle et il est beau. C’est le coup de foudre. “Je reviens à Paris sans film et avec un homme”. De leur amour naît, deux ans plus tard, Leila. Mais Aïssa n’est pas heureux. Promis à une grande carrière, il vit mal le fait de n’être pas reconnu à sa juste valeur en France. Impuissante, Anne-Marie assiste au naufrage d’un homme abîmé qui s’éteint dans ses bras, après 36 ans de vie commune.

Reverra t-elle Melvin ? Oui. En fait, ils ne se sont jamais quittés. Il jouera même dans une scène de son film le plus autobiographique Un voyage sur la terre. Cinquante ans plus tard, grâce à la magie du cinéma, ils revivent leur première rencontre.

Aujourd’hui, Anne-Marie Lallement continue d’écrire des nouvelles chez l’Harmattan. Prochainement sortira son prochain film Vivre en Poésie. De plus, elle vous donne rendez-vous samedi 2 avril à 15h, au Centre Ken Saro, 63 rue de Buzenval, pour la projection de Tours, détours, pourtours d’un jardin solidaire (2013). Un documentaire sur un jardin, tourné impasse Satan, dans le 20e arrondissement. Dimanche 3 avril, RDV à Montreuil, 5 rue de la révolution, pour la projection de M comme Malika qu’elle tourne dans les années 80’ à son retour de Kabylie. Le reste de sa filmographie est disponible en ligne.

Texte : Anne Josse
Photos : Gaëlle Guse
Merci au Café Lou Pascalou

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