Située au 93 rue des Pyrénées, la caserne Charonne fêtait son 120e anniversaire cette année. À cette occasion, on a passé une journée avec les pompiers du 20e arrondissement afin de vous en dévoiler les coulisses.

Peut-être les apercevez-vous courir le matin à travers le 20e, ou pratiquer leur sport – les portes de la caserne grandes ouvertes – en fin de journée. En ce moment (jusqu’au 17 décembre), on les croise aussi dans les rues et sur le marché pour écouler leurs calendriers. Ils font partie des figures du quartier, sans qu’on connaisse très bien leur métier. Pour y remédier, on les a accompagnés le temps d’une journée.  

Il était une fois, le 13 octobre 1903…

Le poste de secours Charonne a été créé par l’architecte Paul Gion, mandaté par le préfet, dont l’objectif était de regrouper d’anciens postes de secours situés au 130 boulevard de Charonne, 121 rue de Bagnolet et 12 bis rue de la Réunion. Ainsi, le 13 octobre 1903 est née la caserne Charonne. Quinze ans plus tard, le 18 juillet 1918, elle est rattachée au centre de secours Ménilmontant, situé au 47 rue Saint-Fargeau. Ensemble, ils forment la 12e compagnie.

Aujourd’hui, la caserne a 120 ans. Elle abrite 61 pompiers, dont 19 sont en service chaque jour, effectuant des gardes de 24, 48 ou 72h. Environ 80 % du personnel de la caserne habite en province. Ils viennent de Reims, Dijon, Grenoble… et font les aller-retours pour rentrer voir leur famille sur leurs jours de repos. Lors de leur garde, les pompiers sont logés au 2e étage de la caserne. Au 3e étage se trouvent six appartements destinés aux hauts gradés et à leur famille. C’est le cas du chef de la caserne, l’adjudant-chef Marc Dagry, 45 ans, qui vit avec sa femme et ses deux enfants : « On est très très bien ici. On a quand même de la chance, parce qu’ici il y a pas mal d’écoles et pour nous, c’est vachement appréciable. »

 

La BSPP, le 3e corps de pompiers le plus prestigieux au monde 

Première en Europe et troisième dans le monde après Tokyo et New York, la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris, rattachée à l’armée de Terre, est reconnue à l’international. Elle regroupe quatre départements : Paris, les Hauts-de-Seine (92), la Seine-Saint-Denis (93) et le Val-de-Marne (94), soit 124 communes. Et elle effectue plus de 500 000 interventions par an, soit environ 1 250 par jour. 

Le centre de secours Charonne, qui fait partie de cette unité d’élite, couvre 50% du 20e arrondissement, de Gambetta jusqu’à la porte de Vincennes. La zone d’action s’étend dans 10% du 11e et 10% du 12e : de l’avenue de Saint-Mandé jusqu’à Nation. De l’autre côté, ils interviennent sur 30% de Bagnolet : côté porte de Montreuil. Mais lors de gros évènements, ils peuvent quitter leur secteur pour prêter main-forte à d’autres brigades. Ils sont par exemple intervenus sur l’incendie de Notre-Dame ou l’explosion de gaz rue Saint-Jacques.

A quoi ressemble une journée de pompier ?

7h45 : Premier rassemblement. Au garde-à-vous, les pompiers de garde se tiennent alignés face au chef de la caserne. Les chefs font le point sur les opérations qui se sont déroulées la veille. Puis, le caporal-chef Alois distribue les consignes et les postes de chacun pour la journée. Aujourd’hui, Maxime sera le chef du véhicule Premier Secours Évacuation (PSE), Clément chef du fourgon, Théo conducteur du fourgon, Nicolas conducteur du camion-échelle, Basile garde-cuisine, Tim stationnaire…

8h : Cérémonie des morts au feu. Chaque lundi matin, les pompiers rendent hommage aux morts au feu lors d’une cérémonie forte en émotions. Le chef prononce un à un le grade et le nom des pompiers morts en exercice. S’ensuit une minute de silence, au garde-à-vous, face à la plaque commémorative où figurent les noms de leurs collègues disparus.

8h10 : Vérification du matériel et des véhicules. Chaque pompier vérifie son matériel notamment l’ARI (Appareil Respiratoire Isolant), pesant 12 kg. Il est constitué d’une bouteille d’oxygène et d’un masque couvrant la bouche, le nez et les yeux, indispensable en cas de feu. Le matériel présent dans le véhicule est également vérifié : lots de sauvetages, pompes à eau, tuyaux, etc. Une étape importante car les pompiers de la caserne Charonne effectuent, en moyenne, 30 départs pour interventions par jour.

9h : Manœuvre. Les pompiers réalisent un entraînement qui a pour but de les mettre en situation : incendie, secours à victime, etc. Aujourd’hui, Tim et son équipe doivent secourir un ouvrier inconscient, tombé de son échelle. Sécurisation de l’espace, prise des constantes, retournement de la victime, ici, l’objectif est d’entraîner Tim à gérer une équipe pour sa formation qui débutera dans quelques semaines. À la fin de l’exercice, les chefs débriefent avec lui de ce qui a été ou non.

10h : Première séance de sport. Ce matin, direction la salle de sport. Mais pour varier les plaisirs, le programme change tous les jours : course aux alentours de la caserne ou séance de sport dans la remise.

12h15 : Déjeuner. Au menu, pâtes à la carbonara, préparées par le garde-cuisine (pompier chargé des repas). Certains ont à peine le temps de toucher à leur assiette que l’alarme retentit. Tant pis, ils mangeront plus tard… Direction le camion et en route pour une nouvelle intervention.

13h : Repos. Entre deux appels au poste de veille opérationnel, Tim tente de faire une courte sieste. Nicolas, lui, est parti s’allonger avant le second rassemblement de la journée. Les études le prouvent : les pompiers sont bien plus opérationnels après s’être reposés l’après-midi. Ainsi, au premier étage de la caserne se trouve une salle équipée de canapés et d’une télé qui permet à chacun de se reposer.

14h30 : Second rassemblement. La majorité de l’équipe étant en intervention, le second rassemblement n’a pas eu lieu.

14h45 : Travail dans le service. Chaque pompier effectue des tâches logistiques indispensables au bon fonctionnement de la caserne (service de la remise, garde-cuisine, garde-foyer, service de soutien de l’homme…). Cela permet à la caserne de rester propre, rangée, et que chacun ait du matériel fonctionnel à disposition. Ainsi, Nicolas a dû vérifier le fonctionnement de l’échelle du camion-échelle. Une fois le camion sorti et malgré la pluie, il a déployé l’immense échelle de 30 mètres de long à l’horizontale et à la verticale afin d’identifier les potentiels soucis.

17h30 : Seconde séance de sport. Généralement, l’entraînement se déroule dans la remise avec toute l’équipe. Mais aujourd’hui, ils ne sont que quatre, le reste de l’équipe est en intervention. Au programme : séries de pompes, tractions, corde à sauter et grimper de corde. C’est à cette heure-ci que vous entendrez de la musique rue des Pyrénées, et si vous passez devant la caserne, l’été, que vous pourrez les voir s’entraîner.

19h : Dîner. Toujours préparé par le garde-cuisine même si le repas ne fait pas forcément envie à tout le monde : « Ce soir, c’est poisson et légumes… Ça vous dit qu’on se commande des sushis ? », lance Nicolas au reste de l’équipe.

20h : “À disposition”. Après le dîner, ils doivent rester disponibles en cas d’intervention. Ils peuvent se détendre, regarder la télé, réviser, boire un verre au foyer (sans alcool) mais doivent toujours être prêts à partir. 

Malgré un programme bien chargé, les journées des pompiers ne se ressemblent pas, elles sont entrecoupées de nombreuses interventions. Le départ en intervention est signalé par une alarme, résonnant dans toute la caserne. Elle est déclenchée par le stationnaire. Aujourd’hui, c’est Tim, 23 ans, qui s’en charge. Il ne peut quitter son poste à moins d’être remplacé. Pour lui, la journée n’est pas comme celle de ses coéquipiers. Au poste de veille opérationnel, derrière un bureau, Tim déclenche l’alarme pour avertir ses collègues de leur départ. À ce moment-là, ils ont 3 minutes pour partir (4 minutes la nuit). Ils réceptionnent l’ordre de départ (ODE), une feuille jaune où sont inscrites les informations sur la potentielle victime (nom, prénom, âge, adresse, symptômes, etc.) Puis, le chef du véhicule concerné repère, à l’aide d’une carte, le trajet le plus court pour se rendre rapidement sur les lieux et les voilà partis.

 

Être pompier à Charonne

Le métier est très difficile, la fatigue s’accumule : « Quand tu rentres chez toi, tu fais des nuits blanches, parce que le gamin il ne fait pas ses nuits, ici tu refais des nuits blanches. Ça, ça te vieillit un peu plus vite », nous explique Maxime, 30 ans, papa d’une petite fille. Il est aussi fréquent que les jeunes recrues abandonnent le métier au bout de quelques mois : « Là, il y en a un qui est parti il y a deux jours []. Il ne supportait pas de rentrer chez lui, d’être fatigué, de courir après le temps, de toujours apprendre des choses. En fait, leur première année c’est la plus difficile : ils doivent s’infuser tous les bouquins, faire toutes les manœuvres incendie. Puis, il y a la garde où le rythme est assez dense parce qu’en plus de partir sur intervention, ils font la cuisine, ils font les travaux d’intérêts généraux, [] ils n’arrivent pas à suivre le rythme. [] Ça ne leur plaît pas. », raconte l’adjudant-chef. Et puis, les pompiers reçoivent beaucoup d’appels, se déplacent de nombreuses fois par jour, parfois pour rien : « Les gens nous appellent car ils pensent qu’ils passeront plus vite aux urgences ». Alors que Nicolas était venu secourir un monsieur en détresse respiratoire, celui-ci lui lance « Laissez-moi tranquille, vous me faîtes chier ! » 

Heureusement, il y a aussi des côtés positifs : « À l’inverse, on tombe sur des papis et mamies très gentils, ça se passe super bien. On rigole, on parle, on est bien accueillis.. On est contents d’intervenir », explique Alois. « On a fait ça ce matin, 95 ans, le papy était tombé et la mamie ne pouvait pas le relever. On reste 15 min, on parle un peu, on relève le papy, ils sont contents et nous aussi », précise Boris. 

À la caserne règne une ambiance chaleureuse, voire familiale, faite de camaraderie. Il ne se passe pas plus de quelques minutes sans que les pompiers ne rigolent de tout et de rien. Ils se vannent, se jettent des stylos, chahutent. Ça leur permet de décompresser mais aussi de pouvoir compter les uns sur les autres lors de moments difficiles. Les pompiers, que nous avons rencontrés, ont tous en commun d’être passionnés : « C’est un putain de taff, c’est un métier passion, quoi », sourit Paul avec des étoiles dans les yeux, « Je suis assez amoureux de ce taff », ajoute Aurélien. Même passion, pour l’adjudant-chef Dagry, 45 ans, qui se voit pompier de Paris « jusqu’à la fin ». 

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Comment devient-on sapeur-pompier de Paris ?

Étape 1 : Il faut postuler dans un centre de recrutement de l’armée (CIRFA), puis passer des tests physiques.

Étape 2 : Une fois les tests physiques réussis, le candidat doit passer un entretien avec un recruteur de la BSPP (Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris), où des tests psychologiques sont réalisés et la motivation évaluée. L’entretien permet aussi d’expliquer aux potentielles recrues le métier de pompier.

Étape 3 : Après avoir réussi les tests psychologiques, le candidat est à nouveau testé sur ses capacités physiques : parcours pompier, épreuve de natation, etc.

Étape 4 : Si tout est validé, la formation peut débuter. Elle dure quatre mois : deux semaines de formation militaire, un mois et demi de secours à victime (PLS, massage cardiaque, pansement, prise de pouls) et deux mois d’incendie.

Étape 5 : La formation se termine par un stage dans un centre de secours.

Après 20 ans de service, les pompiers sont en retraite militaire. Ils ont deux options : soit ils trouvent un autre travail, ils peuvent recevoir une aide pour financer une formation, soit ils continuent le métier de pompier, mais dans le civil. 

 

Laurane Charpentier

 

 


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