TRIBUNE – Parce que le 20e arrondissement, ce sont aussi vos tranches de vies, vos vécus, vos témoignages, on a décidé de vous donner – de temps en temps – la parole directement. Place aujourd’hui au texte de Mathieu, trentenaire qui réside et travaille dans le quartier Gambetta.

 

C’est une histoire malheureusement banale, mais qui nous touche d’autant plus qu’elle se déroule dans notre quartier. Lorsqu’on entend une histoire similaire dans les médias, ou qu’on la lit dans une BD comme Les vieux fourneaux, on se dit “Non mais qui fait ça ?”, et un jour, on se rend compte que c’est réel, ordinaire et que cela se passe aussi en bas de chez soi. Alors on se demande comment ? Pourquoi ? Et qui ?!

Cette histoire, c’est celle d’un SDF qu’on déloge. Pourtant, il ne dérange pas grand monde. Il est dans le quartier depuis 20 ans. Les habitants historiques se souviennent de lui depuis toujours. Il est souriant, poli, drôle, toujours aimable et il a eu l’intelligence voire la discrétion de s’installer sur des sorties de parking et pas devant un hall d’entrée. Mais cela ne suffit pas, c’est sûrement encore trop visible pour certaines personnes.

Depuis mon installation dans le quartier, je le croise régulièrement rue Stendhal. Au début, il était au 32-34 de la rue. On se saluait. Personne ne souhaite cette situation évidemment, mais il était abrité, dans une rue calme, et aidé par les commerces et les habitants alentours, qui le connaissent bien. Franchement, il ne devait pas déranger grande, même si on n’aime pas voir la misère en bas de chez nous.

Et puis un jour, en plein milieu de l’hiver, sous l’impulsion de la copropriété on imagine, il a été délogé et des travaux ont été fait pour rendre cet endroit inconfortable et surtout inutilisable. Les quelques cm2 de plat, sain et abrité du vent et de la pluie, sont devenus inclinés.

Moins pratique donc ! Qui veut ça ? Qui souhaite ça ? Ce n’est pas comme si des toxicomanes violents squattaient et harcelaient les habitants de l’immeuble. Il y avait juste un type comme nous, plaisant et agréable, qui passait ses nuits ici et laissait ses affaires en “sécurité”. Bon an mal an, il a trouvé un nouvel endroit pour s’abriter et y élire domicile. C’était dans la rue Lisfranc, dans l’entrée du parking de la copropriété du 22 rue Stendhal.

Un peu moins abrité, mais tout de même protégé, dans une rue calme et toujours dans son quartier. Encore une fois, il ne dérangeait pas grand monde, car l’entrée piéton est à plus de 50 mètres de la sortie parking. Les habitants sans voiture ne l’ont peut-être jamais croisé. Cette fois, ce fut rapide, quelques mois plus tard, il a été délogé par un agent de sécurité et une entreprise de BTP. Tous les deux auraient été mandatés par un membre du conseil syndical.

Efficacité, en moins de 8 heures, on a retrouvé le même emplacement avec plusieurs poteaux anti-sdf. Ses affaires ont été jetées quelques mètres plus loin dans la rue. Encore une fois, qui agit de cette façon ? J’étais là ce jour-là, et le fameux membre du conseil syndical n’a pas pointé le bout de son nez. Il a laissé faire la sale besogne à deux pauvres types, pas très à l’aise avec cette mission. Tellement plus facile…

Le lendemain, il s’est réinstallé de l’autre côté de cette même sortie de parking mais le spot est incliné et beaucoup moins confortable. On peut imaginer que les membres du conseil syndical vont riposter pour le déloger de manière définitive cette fois-ci. Moi qui pensais être dans un quartier où la solidarité passe avant l’argent, et où l’humanité passe avant l’apparence…. A priori cette idée n’est pas partagée par tout le monde : il y a des gens qui sont dérangés par le fait de savoir qu’un gentil SDF a élu domicile dans l’entrée publique de leur parking !

Qui prend les décisions pour déloger et faire en sorte que plus personne ne puisse s’installer à un endroit ? Je ne pense pas que la majorité des copropriétaires des immeubles concernés valide ces décisions en pleine conscience. Je n’ai pas envie de croire ça ! J’ai la chance d’être propriétaire à Paris et je vois comment cela se passe : les propriétaires habitant vraiment l’immeuble sont clairement en minorité. Souvent, ils ne se soucient pas trop de la gestion et donnent le pouvoir d’approuver l’ensemble des résolutions à un syndic. Alors, qui a donné l’impulsion pour déloger cet habitant qui dérange ? Le conseil syndical a souvent la main pour des décisions de petits travaux.

Dans la copropriété du 22 de la rue Stendhal, les membres du conseil syndical ont pris cette décision sans la validation ni même la concertation de l’Assemblée Générale. Quelques copropriétaires, mis sur le fait accompli, ont alerté le syndic de leur désapprobation mais cela n’a pas suffi. Le syndic et les membres du conseil syndical ont expliqué que cela avait été fait pour la sécurité du SDF (sic) car il serait « traumatisant pour un résident de le blesser involontairement lors d’une manœuvre ».

Dans le premier immeuble du 32-34 de la rue Stendhal, et plus généralement partout où ça se passe, je n’ai pas d’explication. Mes questions sont les suivantes :  Est-ce que le conseil syndical a pris cette décision seul ? Peut-être en croyant bien faire… Est-ce qu’elle a fait l’objet d’une résolution en assemblée générale (AG) ? Et si c’est le cas, est ce que la résolution indiquait clairement les implications (déloger quelqu’un sans lui proposer de plan B) et les répercussions (travaux anti-sdf) pourtant décriées (voir les Pics d’OR de la fondation Abbé Pierre) ? Si la résolution était clairement énoncée, et que la majorité a voté en pleine conscience le délogement et les travaux, je ne peux rien dire, si ce n’est que cela me dégoûte.

Mais à l’inverse, si le vote n’est pas représentatif de la volonté réelle des copropriétaires, il y a un souci. Je ne pense pas que plus de 50 % des propriétaires de l’immeuble aient fait ce choix en connaissance de cause. Je me trompe peut-être, ce serait triste. Mon avis serait plus nuancé si on parlait d’un crack-man que les habitants doivent enjamber pour rentrer chez eux. Situation délicate où l’arbitrage et le positionnement seraient plus compliqués. Mais, ce n’est pas du tout le cas ici. Je pense qu’il faut en parler pour que cela ne se reproduise pas ! Déloger quelqu’un, alors qu’il ne fait aucun mal et qu’on en subit aucune nuisance, c’est grave, ce n’est pas anodin, ça doit être pointé du doigt.

Contacté par Mon Petit 20e, le syndic de copropriété Sogi (du 22 rue Stendhal) n’a pas souhaité donner suite à nos sollicitations. Pour prendre contact avec Mathieu : mathieu.antoine2023@gmail.com 

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