Le 6 novembre, nous apprenions le décès de Madeleine Riffaud. Elle venait d’avoir 100 ans deux mois plus tôt. Durant sa vie elle s’est engagée jeune dans un parcours de résistante, puis de journaliste et poétesse. Ce fut un exceptionnel modèle de courage et d’engagement. Sa vie est très étroitement liée à l’histoire du 20e arrondissement, comme nous le rappelle l’Association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement de Paris (AHAV).

Résistante à 18 ans, poétesse, reporter de guerre, militante anticolonialiste et pacifiste, amie d’Éluard, d’Aragon, de Picasso, de Vercors et de Hô Chi Minh, Madeleine Riffaud a vécu mille vies et a survécu à toutes. Née le 23 août 1924 dans la Somme, elle est encore mineure quand elle s’engage dans la Résistance à Paris, en 1942, sous le nom de code Rainer, “ce nom d’homme, de poète et d’Allemand, en hommage à Rainer Maria Rilke, et participe à plusieurs coups de main contre l’occupant nazi. Elle entre dans les FTP en mars 1944. Elle obéit au mot d’ordre d’intensifier les actions armées en vue du soulèvement de Paris d’août 1944 : le 23 juillet 1944, en plein jour, elle abat de deux balles dans la tête un officier allemand sur le pont de Solférino.

« Neuf balles dans mon chargeur / Pour venger tous mes frères / Ça fait mal de tuer / C’est la première fois / Sept balles dans mon chargeur / C’était si simple / L’homme qui tirait l’autre nuit / C’était moi. »

Prenant la fuite à vélo, elle est rattrapée et emmenée au siège de la Gestapo, où elle est torturée. Elle garde le silence et est condamnée à mort. Promise à la déportation à laquelle elle échappe, sauvée par une femme qui la fait sauter du train, elle est à nouveau arrêtée et bénéficie finalement d’un échange de prisonniers pour être libérée, le 19 août 1944. Elle reprend alors immédiatement son combat dans la Résistance où elle est affectée à la compagnie Saint-Just avec le grade d’aspirant lieutenant.

L’attaque de la gare de Ménilmontant

Sa nouvelle mission, avec seulement trois résistants sous ses ordres, consiste en l’attaque du train arrivant aux Buttes-Chaumont (gare de Ménilmontant) qui aurait pu prendre à revers les résistants, engagés dans les batailles parisiennes. Lorsqu’ils arrivent sur place, le train est déjà là et ils prennent les caisses d’explosifs qui n’avaient pas encore été utilisées pour les combats de rue. Installés de part et d’autre de la voie, ils envoient l’ensemble d’un coup et lancent des fumigènes et des feux d’artifice dans le tunnel où le train se retranche. La garnison se rend ; elle contribue donc à la capture de 80 soldats allemands et récupère des fusils et des munitions. Nous sommes le 23 août 1944, jour où Madeleine Riffaud fête tout juste ses 20 ans. Mais pour elle, pas de trêve : le 25 août, toujours à la tête de sa compagnie, elle mène l’assaut du tout dernier bastion allemand, la caserne de la place de la République.

Poétesse, écrivaine, journaliste, correspondante de guerre

Madeleine reçoit de l’État-major des FFI son brevet de lieutenant, mais son engagement s’arrête à la fin des combats pour la Libération de Paris, car l’armée régulière ne l’accepte pas comme femme et mineure. Ses camarades de la compagnie Saint-Just continueront la lutte contre les nazis au sein de la brigade Fabien jusqu’à la victoire finale. Madeleine reçoit alors une citation à l’ordre de l’armée signée De Gaulle.

Devenue majeure en 1945, elle épouse cette année-là Pierre Daix, chef de cabinet du ministre Charles Tillon, dont elle se séparera en 1947 puis divorcera en 1953. Après 1945, elle travaille pour le quotidien communiste Ce Soir. Elle rencontre Hô Chi Minh, lors de sa visite officielle en France, en 1946, pour la conférence de Paix de Fontainebleau, avant de partir en reportage en Afrique du Sud et à Madagascar.

Elle reçoit ensuite régulièrement jusqu’en 1949, chez elle, rue Truffaut, Tran Ngoc Danh, membre de la délégation vietnamienne, et rêve d’y partir en reportage, désapprouvée par son mari qui la trouve « gauchiste ». Elle se déclare fermement « ouvriériste », en couvrant les grèves des mineurs, écrit des textes sur l’Indochine en 1948 et milite contre l’emprisonnement de Trân Ngoc Danh, député de la République démocratique du Viêtnam.

Elle passe à La Vie Ouvrière, organe de la CGT, avant les campagnes de l’Appel de Stockholm du 19 mars 1950. Cet hebdomadaire publie ses poèmes dès 1946, tout comme Les Lettres françaises, de 1945 à 1972. Très proche de Hô Chi Minh et du poète Nguyen Dinh Thi, qu’elle a rencontrés à Paris et à Berlin en 1945 puis 1951, elle couvre la guerre d’Indochine, épisode relaté dans Les Trois guerres de Madeleine Riffaud (film de Philippe Rostan, diffusé en 2010). Elle deviendra la compagne de Nguyen Dinh Thi, futur ministre de la Culture.

Grand reporter pour le journal L’Humanité, elle couvre la guerre d’Algérie, au cours de laquelle elle est gravement blessée dans un attentat organisé par l’OAS. Aussitôt guérie, elle couvre la guerre du Viêt Nam pendant sept ans, dans les maquis du Viêt-Cong sous les bombardements américains. À son retour, elle se fait embaucher comme aide-soignante dans un hôpital parisien, expérience dont elle tire son best-seller, Les Linges de la nuit.

Elle ne fera publiquement part de son engagement dans la Résistance qu’à partir de 1994, pour les 50 ans de la Libération, pour ne pas laisser tomber dans l’oubli ses “copains” morts dans les luttes qu’ils partagèrent. Elle est titulaire de la Croix de guerre 1939-1945 avec palme (citation à l’ordre de l’armée), décernée pour ses activités de résistance contre l’occupation nazie (6 août 1945), chevalier de la Légion d’honneur (avril 2001) et officier de l’ordre national du Mérite (2008). Elle laisse une très riche œuvre publiée tant en poésies, contes qu’essais et de très nombreux reportages (Tunisie, Iran, maquis du Viêt-Cong et Nord-Viet Nam).

>> Retrouver l’article “Les mille vies de Madeleine Riffaud” (en intégralité), sur le site de l’AHAV, l’association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement de Paris.

 

BD Madeleine résistante, sortie le 20 août 2021. © Dominique Bertail Editions Dupuis.

Sa vie a récemment fait l’objet d’un roman graphique en deux volumes, sous forme de bande dessinée inspirée de ses souvenirs, La Rose dégoupillée et L’édredon rouge, par Jean-David Morvan, aux éditions Dupuis, en 2021 et 2023. Tout récemment, le jour de ses 100 ans, paraissait la troisième partie, Madeleine, résistante, les nouilles à la tomate ».

————————

À lire aussi :

Fermes maraîchères : quand le 20e arrondissement fournissait Paris en fruits et légumes frais

La petite histoire de la voiture à vapeur Serpollet, fabriquée dans le 20e arrondissement de Paris

L’histoire de la caserne des Tourelles (Porte des Lilas) : un camp d’internement dans Paris entre 1940 et 1945

Histoire du 20e : en 1916, un zeppelin allemand bombardait Ménilmontant

En 1958, l’incroyable histoire des pompiers incendiaires de Ménilmontant

Au 19e siècle, l’histoire des premiers tramways dans le 20e arrondissement de Paris

Le mystérieux appareil photo du cimetière du Père-Lachaise