À l’heure où les Parisiens réinventent les “fermes urbaines” et se revendiquent “locavores”, qui se souvient qu’une partie du 20e arrondissement fut longtemps une terre de jardinage et de maraîchage ? Pourtant certains noms de rues peuvent nous mettre la puce à l’oreille : rue des Maraîchers, rue des Haies ou celle des Grands Champs… L’Association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement de Paris (AHAV) nous rafraîchit un peu la mémoire.
De tout temps, il a fallu fournir Paris en légumes, “herbages” et fruits frais. Dès le Moyen Âge, Paris est une ville dense et très peuplée : 250 000 habitants, en 1300, qui en font la capitale la plus peuplée d’Europe occidentale. Pour approvisionner les marchés, en ces temps où l’on ignore les transports à longue distance et le froid artificiel, des jardiniers professionnels cultivent à l’intérieur même de la ville des surfaces assez étendues de légumes (choux, salades, concombres, etc.), dont l’actuelle rue du Pont-aux-Choux (3e arr.) est un lointain souvenir.
Tout comme les biens connus “clos à pêches” du Haut Montreuil sont un vestige de la capitale internationale de la pêche de qualité et d’autres fruits, fraises et cerises, qu’a longtemps été ce village voisin de Paris. Au fur et à mesure de l’extension urbaine, ces jardins ont dû reculer, franchir les enceintes successives de Paris et gagner la banlieue proche pour finalement s’éloigner plus loin encore en région parisienne.
Le travail du jardinier-maraîcher est différent de celui du cultivateur ou du laboureur. C’est un métier très qualifié qui requiert une bonne connaissance des espèces de légumes et de fleurs de coupe et des méthodes (amendement des terres, palissage des arbres, utilisation de serres, châssis ou cloches de verre…) nécessaires pour protéger les plantes, les “forcer” et les faire produire à la fois en quantité abondante et en qualité. Le travail est rude et les journées longues : tôt levés, tard couchés… À Paris, dès la fin du Moyen Âge, il existe une corporation des “jardiniers, préoliers et maraîchers”. En 1772, elle compte environ 1 200 maîtres jardiniers. Elle disparaît avec la Révolution.
Une “petite banlieue maraîchère”
Mais ces jardiniers, dont beaucoup sont parisiens de longue date, restent en place, bientôt renforcés de nouveaux venus des campagnes proches. Les activités de jardinage et de maraîchage se poursuivent à Paris et dans sa banlieue proche ou lointaine pendant tout le 19e siècle et une partie du 20e. Au fur et à mesure que la ville grignote ses faubourgs, les zones jardinières se déplacent hors des limites, de Paris, puis encore au-delà. On se souvient qu’à la fin des années 1970, le choix de Bobigny comme chef-lieu du nouveau département de la Seine-Saint-Denis a entraîné le déménagement de ses maraîchers, partant avec la terre de leurs jardins qui était pour eux un outil de travail et un investissement de qualité.
Nombreux sont les jardiniers et maraîchers qui ont laissé leurs noms inscrits dans la voirie parisienne. Dans le 12e arrondissement voisin, il y a une rue des Jardiniers et une rue Dagorno, et de nombreux passages portent les noms de jardiniers aujourd’hui oubliés. Dans le 20e arrondissement, nous avons aussi le passage Josseaume et l’impasse Dagorno.
Qui sont ces gens ?
Dagorno ? Un patronyme qui pourrait bien être breton d’origine. Le premier Dagorneau repéré – la famille adoptera ensuite l’orthographe Dagorno – est Nicolas Dagorneau, décédé à Paris à la fin du 18e siècle. Il est qualifié de jardinier, domicilié rue des Amandiers, dans la paroisse Sainte-Marguerite. On ne sait pas où il est né. Par son mariage, il est lié à des familles bellevilloises comme les Mouroy et les Auroux et certains de ses beaux-frères sont vignerons à Belleville.
Ce couple aura une descendance nombreuse qu’on retrouvera essaimée dans divers quartiers parisiens. Certains s’établissent dans l’actuel 12e arrondissement, rue de Picpus ou rue de Reuilly, ou encore près de la place la Nation ou rues de la Voûte et du Rendez-vous. D’autres s’installent à Charonne, particulièrement à proximité de la rue des Haies. Au début du 20e siècle, d’autres Dagorno iront plus loin en région parisienne (Maisons-Alfort, Alfortville…).
Et les Jossaume ? Ils étaient originaires de l’Avranchin, dans la Manche, qu’ils quittent dans les années 1810. Le premier arrivé à Paris est probablement André Josseaume (1790-1871), qui se marie, en 1813, à Saint-Ambroise. Vers 1819, il est rejoint par un de ses frères, Jacques François Josseaume (ca 1787-1855), qui, en 1846, est jardinier au chemin de ronde de la barrière de Saint-Mandé. Des Josseaume, on en trouve successivement dans l’ancien village de Bercy (vers 1853), rue et boulevard de Reuilly (en 1871) et à Charonne. Au début du 20e siècle, certains sont installés à Créteil (1914).
Grandes familles jardinières de Paris
Au fil des générations, les Dagorno et les Josseaume se sont unis par mariage avec la plupart des grandes familles jardinières de Paris et de sa banlieue. C’est en effet une habitude bien ancrée dans ce métier : quand on est enfant de jardinier, on n’épouse qu’un fils ou une fille de jardiniers et, en cas de veuvage, on se remarie dans ce même milieu. Ils participent ainsi d’une vaste communauté professionnelle qui pratique l’endogamie, partage ses savoirs de métier, travaille dans l’ensemble de la région francilienne et finit par constituer une sorte d’”aristocratie” jardinière et maraîchère.
>> Retrouver l’article “Savez-vous planter les choux à la mode de… Charonne ?” (en intégralité), sur le site de l’AHAV, l’association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement de Paris.
Ancienne maison de jardiniers, transformée en lavoir industriel, rue de Charonne, début du XXe siècle. Carte postale.
Dessin de la rue des Maraîchers en 1896. — Bibliothèque nationale de France
Photo de la rue des Maraîchers en 1898 – Archives de la ville de Paris
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