Faut-il agrandir et valoriser sa maison en construisant un étage supplémentaire ? Ou bien préserver l’authenticité des maisons en meulières, surtout dans des quartiers anciens, avec une unité architecturale ?

La question fait débat au sein de la Campagne à Paris, petit îlot pavillonnaire du 20e arrondissement, situé en surplomb de la Porte de Bagnolet. Autrefois habitées par des ouvriers, ces maisons mitoyennes avec terrasses et jardins sont aujourd’hui plébiscitées par des habitants plus fortunés. 

Si à l’échelle de Paris, la densification pourrait apparaître comme un moyen de répondre à la crise du logement (“faire la ville sur la ville”), ce n’est plus un objectif affiché par la municipalité. Bien au contraire. Dans la capitale la plus dense d’Europe, l’heure est au gain d’espaces verts, pour vivre mieux, moins les uns sur les autres. Mais rien n’empêche qu’individuellement, des propriétaires soient tentés de gagner un étage supplémentaire, de creuser un sous-sol, ou de créer une extension. Soit des m2 en plus, pour vivre, et à valoriser le jour de la revente. 

Des possibilités surtout offertes aux détenteurs de maison, comme à la Campagne à Paris, où les surélévations ont débuté, il y a une trentaine d’années, et se poursuivent, avec des projets récents, rue Jules Siegfried et rue Paul Strauss. Sauf qu’aujourd’hui, des riverains s’y opposent et attaquent ces projets en justice. Des dossiers complexes, car le quartier n’est pas classé aux monuments historiques. Si bien que la direction de l’Urbanisme autorise dans un premier temps les surélévations. Sauf que des servitudes (règles de droit privé, du code civil) datant de 1924 les interdisent. Malheureusement, ces dernières ont été peu ou mal retranscrites dans les actes notariés.

Un contentieux entre voisins est ainsi remonté, en 2022, jusqu’à la Cour de cassation, qui a donné raison aux partisans de la préservation, et ordonné la destruction de plusieurs constructions. Une décision qui satisfait l’association Paris Historique, qui dans sa dernière lettre d’information (mai-juin 2023), revient sur la “surenchère folle des prix” (comptez 1,7 à deux millions pour un pavillon) qui pousse les nouveaux propriétaires à “apporter des transformations de toute sorte qui dénaturent petit à petit la cohérence et l’unité de ces lotissements”. Si “la loi du marché et la spéculation foncière ont souvent prévalu et les administrations responsables ont laissé faire (…)”, poursuit le texte.

Du côté de l’Amicale des riverains de la Campagne à Paris, on se dit sur cette même ligne. Sa présidente, Françoise Astier, indique que sa position est “d’une manière générale, de préserver l’environnement et le caractère architectural ancien des maisons. Et donc pas favorable aux surélévations”. Mais l’association n’émet qu’un avis et le quartier ne dispose d’aucune protection, ajoute-t-elle. 

Une problématique que connaît également La Mouzaïa, bucolique quartier de maisonnettes du 19e arrondissement, comme en témoigne Jacques Gérard, le président du Syndicat des Intérêts Généraux des Villas du Quartier d’Amérique. Une association qui s’oppose aussi aux surélévations. “On constate la même tendance ici à vouloir gagner des m2 pour donner de la valeur aux habitations, au risque de dénaturer le quartier. Parfois ces extensions sont faites en sous-sol, ce qui est moins visible, mais très dangereux, car, ici, le sol est un gruyère (d’anciennes carrières), ce qui peut fragiliser les autres maisons du quartier, surtout qu’on ne sait pas si les travaux sont faits correctement ou non”, explique-t-il.

Dans le 19e arrondissement, comme dans le 20e, une meilleure protection pourrait possiblement passer par un classement de ces quartiers historiques, ou par une révision du Plan local d’Urbanisme (PLU). Mais après des années à les réclamer, ces partisans n’y croient plus vraiment…  

Une surélévation, qui date un peu, rue Paul Strauss

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Qu’est-ce “la campagne à Paris” ?
Construit au début du 20e siècle pour loger des familles modestes, ce micro-quartier pavillonnaire est devenu l’un des plus cotés de l’arrondissement. Et pour cause, il est constitué d’une centaine de maisons mitoyennes – dont de magnifiques meulières (aux façades rocailleuses) disposants de terrasses et de petits jardins. Ce qui lui donne un aspect “village”, vraiment insolite à côté de la très animée Porte de Bagnolet. C’est sur une ancienne carrière de gypse que le pasteur Sully Lombard décide en 1907 la création d’une coopérative destinée à permettre l’accès pavillonnaire à des personnes à revenus modestes. Même si la hausse continuelle du marché de l’immobilier a fait flamber, comme partout, le prix des maisons (en grande majorité des meulières, dont l’entretien nécessite un budget certain) et amené une nouvelle génération de Parisiens, certaines d’entre elles sont encore habitées par des descendants des premières familles qui s’y sont installées au début du 20ème siècle.

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