“Destruction à venir au 48 rue Alphonse Penaud dans le 20e d’un superbe immeuble avec verrière, ancienne filature textile (les filatures du Lion). Sera érigé un immeuble quelconque de 5 étages. Adieu les menuiseries 1900 et leur cadre en fer forgé.” C’est par ces mots que le compte @destroyparis20e signale – depuis janvier dernier – la disparition de maisonnettes et petites bâtisses du 20e arrondissement.
Derrière ce compte, se cache un homme de 37 ans, qui préfère rester anonyme, il est fonctionnaire et travaille sur les questions de logement, donc “astreint à un devoir de réserve à ce titre”. S’il est installé dans le 20e depuis un an et demi, sa famille y vit depuis 4 générations, ce qui joue dans son attachement. “Ma mère ayant vécu à Saint-Fargeau, je ne peux pas me balader avec elle dans le quartier sans qu’elle me raconte, qu’a telle adresse elle avait une vieille tante pas commode qui tenait une blanchisserie, que dans tel immeuble a vécu un oncle éloigné communiste résistant ou que tel immeuble a été construit par un vieil oncle architecte enterré au père Lachaise”.
Ce qu’il aime dans le 20e, c’est que l’architecture n’est pas linéaire comme ailleurs dans Paris. “Vous n’avez pas une ligne d’horizon unique faite d’immeubles de 7 étages, invariablement haussmannien comme dans l’ouest de la capitale. Dans le 20e, il y a des immeubles haussmanniens mais aussi faubouriens, brutalistes de la reconstruction ainsi que des petites maisonnettes, presque pavillonnaires. C’est un joli bordel bien moins ennuyeux que les belles avenues à l’ouest”.
Les petites maisonnettes et petits immeubles de deux étages qui ont commencé à le passionner sont le témoignage d’un Paris populaire, celui des petites fabriques en tout genre du 19e siècle. Contrairement aux immeubles haussmanniens, elles ne bénéficient d’aucune protection patrimoniale (à l’exception de certaines villas ou de la Campagne à Paris – et encore, les surélévations y sont possibles, comme on vous l’avait raconté ici). “Mal aimées des urbanistes, ils y voient des petits pavillons sans intérêt. Elles sont donc l’objet de destruction massive au profit de grands immeubles de 7 étages”, constate-t-il.
Si la bétonisation de Paris est beaucoup moins brutale qu’elle l’a pu l’être pendant les 30 glorieuses ou dans les années 60-70 dans certains quartiers comme Belleville, elle se fait à bas bruit, par la destruction des maisonnettes et la surélévation de petits immeubles. “Je suis vraiment triste quand je croise les panneaux “permis de démolir” ou “surélévation”, je pense que c’est pour ça que j’ai décidé de créer ce compte.”
Espère-t-il que cela puisse faire bouger les choses ? “Je ne suis pas certain que face à la pression des intérêts économiques et de la crise du logement (elle bien réelle), nous puissions faire grand-chose pour sauver ces petites maisonnettes. Mais si au moins avant leur destruction, certains peuvent porter un peu d’attention à cet habitat et s’il peut en rester une trace par ces photographies, ça sera pas mal”.
Pour en revenir à la photo, le sort du 48 rue Alphonse Penaud, ancienne filature textile, un temps squatté par un collectif d’artistes, préoccupe plusieurs d’entre vous (dont certains nous ont contacté à ce sujet). Racheté par la Croix-Rouge en 2020, le bâtiment à la verrière de style Eiffel doit être transformé en centre d’accueil pour mineurs et pour enfants autistes. Un permis de construire a été déposé, mais les travaux n’ont pas encore commencé.
Avant cela, un hôtel avait, un temps, été envisagé par son précédent propriétaire. Chargée de réfléchir à la politique patrimoniale et d’urbanisme de la ville de Paris et de rendre des avis, la Commission du Vieux-Paris avait donné son accord pour sa démolition en 2016 expliquant que “ le bâtiment est représentatif des constructions manufacturières de petit échelle de la fin du XIXe siècle, mais (…) que l’intérêt patrimonial de l’œuvre n’est pas suffisant pour qu’elle s’oppose à sa démolition”. (Nous avons contacté la Croix-Rouge pour en savoir plus sur l’avancée du projet, nous vous tiendrons au courant dès que leur réponse nous sera parvenue).
Le projet du cabinet d’architecte Fernier & Associés pour le 48 rue Alphonse Penaud
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