TRIBUNE – Situé rue Denoyez à Belleville, le centre sportif Alfred Nakache accueille les activités de plusieurs associations du quartier. Treize d’entre elles annoncent être “délogées” d’une salle et ont lancé une pétition, notamment pour sauver la salle de danse. Nous leur donnons la parole.

“Plusieurs décisions semblent aller dans le sens d’une appropriation progressive du centre sportif par l’AJA PARIS XX dans son usage. La destruction annoncée récemment de la dernière salle de danse au profit de l’extension d’un dojo, fera du centre Nakache un lieu dédié exclusivement aux sports de combat, notamment de très haut niveau, ce qui n’est pas sa vocation première.

Treize associations sportives à qui la mairie du 20e arrondissement a délivré des autorisations d’occupation temporaire (AOT) ont été averties le 15 mars 2024 par mail que les engagements ne seraient pas tenus. Des adhérent·e·s et des habitant·e·s se mobilisent pour tenter de sauver la salle, mais aussi pour dénoncer des pratiques de gestion du lieu pour le moins opaques.

A la demande des associations, elles ont été reçues le 28 mars à la mairie du 20e par Monsieur Epency Epara Epara, adjoint au sport et aux pratiques sportives, Monsieur Coudreau, directeur de la DJS du 20e, et Monsieur Anthony Bouttier, adjoint au chef de la circonscription 20 conseiller à la vie sportive, mais elles n’ont obtenu aucune réponse claire à leurs questions, ni d’engagement écrit en terme de relogement.

La démocratie locale mise à mal

Pour mémoire : la construction du centre sportif Nakache a été obtenue à la suite d’une mobilisation des habitant·e·s du quartier réclamant initialement une piscine. Lors d’un conseil de quartier en 2007 en présence du maire du 20ème Michel Charzat, Valérie de Brem directrice générale de la Jeunesse et des sports de la ville de Paris avait précisé les futurs contours du centre prévoyant quatre salles de sports : deux salles dédiées aux cours de “fitness” municipaux ; deux salles “multi-sports” à destination des associations ou des scolaires. L’objectif était d’élargir et de diversifier l’offre sportive de proximité dans un quartier populaire et multiculturel. Le centre sportif municipal polyvalent inauguré en 2009 par le Maire de Paris Bertrand Delanoë comprenait déjà un dojo.

Dans l’organisation actuelle de l’établissement, il existe désormais deux dojos, une salle de musculation à l’usage de l’AJA PARIS XX et une salle de danse polyvalente (120 m2). La destruction annoncée de cette dernière au profit de l’extension du dojo attenant (150 m² avant travaux) s’inscrit dans le programme national lancé à l’occasion des Jeux olympiques : “5000 Équipements – Génération 2024”, plus précisément, dans le volet “1000 dojos” déployé par la Fédération nationale de judo. Cet aménagement se fait au bénéfice de l’AJA PARIS XX, dont le bureau se trouve déjà au centre Nakache. Le label “1000 dojos” garantira à ce club de haut niveau l’usage exclusif et gratuit de cet étage pour au moins dix ans. Si la salle de danse est détruite le centre sportif polyvalent adapté à la diversité du quartier deviendra donc un centre équipé seulement de dojos et dominé par un club de judo de compétition à rayonnement national et international.

Par qui et à quel niveau de responsabilité cette décision a-t-elle été prise ? Il n’y a eu :
– ni consultation des habitants, ni concertation avec les conseils de quartier ;
– ni vote au conseil municipal selon la réponse de Monsieur l’Adjoint au sport et aux pratiques sportives lors de la réunion du 28 mars ;
– ni avertissement préalable aux associations ;
– ni communication à ce jour sur les engagements à dimension sociale pris par l’AJA PARIS XX auprès des publics scolaires et amateurs en échange de la création d’un dojo dit “solidaire”.

Des irrégularités dans la création d’un  “dojo solidaire”

La salle de danse a été proposée à la Fédération nationale de judo comme étant éligible dans le cadre du projet “1000 dojos” qui qui vise à créer des dojos dits “solidaires” dans des “zones blanches” du territoire national, où la pratique du judo est peu développée, ou encore dans des “quartiers prioritaires de la politique de la ville ” (QPV).

Or dans le projet d’aménagement du deuxième étage du centre Nakache, d’une part il n’est pas question de création, mais d’extension d’un dojo existant. D’autre part, il semble très difficile de parler de “zones blanches” à propos d’un établissement qui met déjà deux dojos à disposition de l’AJA PARIS XX et à propos du 20e arrondissement qui, pourtant sous-doté en équipements sportifs, compte onze clubs affiliés à la Fédération française de judo. Par ailleurs, en quoi le fait que Belleville soit un quartier prioritaire justifierait-il une sur-représentation dans un même centre municipal au départ polyvalent d’une discipline sportive martiale, davantage pratiquée par des hommes quand on avance en âge et en niveau ?

Sur le site “1000 dojos”, il est enfin spécifié comme premier critère d’éligibilité que les locaux proposés doivent être vacants. Ce n’est pas le cas de la salle de danse menacée de destruction : dans le mail adressé aux associations, dont l’objet est : “Alfred Nakache / Travaux d’agrandissement du dojo 2ème étage – suppression salle de danse”, il est question de leur “relogement”.

Un tissu associatif de proximité menacé de disparition

La survie des treize associations expulsées dépend en partie ou totalement du maintien de leurs activités en ce lieu. En effet, beaucoup sont engagées au centre Nakache depuis son ouverture et ont, au fil des années, non seulement réussi à fidéliser un public local sur des activités sportives et artistiques variées (escrime, taïchi, danse contemporaine, danse orientale, danse africaine, yoga, hip hop, barre au sol, gym et remise en forme pour les seniors, danse berbère, relaxation, danse prénatale, gym maman/bébé) mais aussi déployé pour certaines des actions envers les scolaires.

Il s’agit de petites structures déjà déstabilisées par la récente crise sanitaire, sans aucun partenaire financier, qui ne bénéficient pas facilement de subventions et qui ne peuvent se permettre de louer des salles de danse dans le privé à Paris (40 euros de l’heure environ). La délivrance d’une autorisation d’occupation temporaire (AOT) au centre municipal Nakache leur donne accès à des locaux de grande qualité pour un coût inférieur à 2 euros de l’heure. À l’inverse, l’AJA PARIS XX est un club de compétition affilié à la Fédération nationale de judo qui, à ce titre, dispose de nombreux partenaires financiers et accède facilement aux subventions.

Malgré la réunion du 28 mars à la mairie, de nombreuses questions restent sans réponse.

Dans un arrondissement sous-doté en équipements sportifs au regard de sa population, pourquoi détruire une salle fonctionnelle et occupée ? Sur quelle base a-t-il été estimé que la population du 20ème arrondissement dans toute sa diversité serait particulièrement demandeuse de formation en sport de combat et en particulier de judo ?

Pourquoi choisir l’AJA PARIS XX parmi les onze associations de judo de l’arrondissement comme bénéficiaire du programme solidaire “1000 dojos”, alors qu’il s’agit pour une grande part d’un club de très haut niveau ? Pourquoi l’AJA PARIS XX n’investit-elle pas le nouveau dojo récemment ouvert aux Amandiers ou encore un lieu vacant dans une partie de l’arrondissement où l’offre en judo est moindre ? Quelle est la nature de la convention signée entre cette association et la mairie d’arrondissement ? Sur quels critères la société Eiffage a-t-elle été choisie pour réaliser les travaux annoncés ? En quoi un dojo de taille internationale (270 m² après travaux) répond-il aux besoins de pratiquants amateurs, scolaires ou périscolaires ?”

Merci d’avoir lu cette tribune jusqu’au bout. Pour soutenir cette mobilisation citoyenne : Pétition : Sauvons la salle de danse du Centre Alfred Nache à Paris ! (mesopinions.com)

 

Photo : Sébastien Billoud. Le 27 mars, les associations manifestent leur colère devant le centre sportif parisien. 

>> Envie de vous exprimer sur le 20e arrondissement ? Vous pouvez nous envoyer vos textes par mail à monpetit20e@gmail.com

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