Septembre 2021. En pleine pandémie de COVID, nous avions découvert l’épicerie coopérative la Source installée pour quelques mois dans la boutique éphémère de la MJC des Hauts de Belleville, rue du Borrégo. L’épicerie devait quitter les lieux pour s’établir de manière pérenne. Qu’est-elle devenue ? Isabelle Parraud (de “Place des Fêtes Infos”) est partie aux nouvelles.

 

Tout d’abord, un petit rappel sur les principes sur lesquels est fondée cette initiative et sur son fonctionnement. Inspirée par les modèles de la Park Slope Food Coop à New York et de La Louve à Paris, la Source permet à des habitants au faible pouvoir d’achat ou isolés socialement, de se nourrir avec des produits de bonne qualité et à moindre coût tout en répondant à leurs besoins. La masse salariale est remplacée par le travail bénévole de membres qui assurent les tâches quotidiennes.

La Source est une société coopérative d’intérêt collectif sous forme de société par actions simplifiées (SCIC SAS), il est possible à tous de souscrire en ligne à partir de son site internet. Elle est constituée de groupes de travail qui décident collégialement des critères de qualité et du choix des produits, prennent contact avec les fournisseurs, fixent les prix de vente, organisent des dégustations ou des ateliers de cuisine, gèrent les finances, effectuent le travail informatique, la communication ou traitent des questions juridiques. Chacun peut participer à un groupe de travail en fonction de ses compétences. Les décisions se prennent sur un modèle de démocratie participative.

La Source s’est dotée d’une charte dans laquelle sont définis ses objectifs, ses valeurs et ses engagements. Elle compte actuellement une centaine de coopérateurs, une équipe active d’une quinzaine de bénévoles et moins de 10 clients par jour. Elle a décidé, au vu de la situation économique actuelle, d’appliquer le tarif coopérateur à tous ses clients. Nous voilà donc devant le 4 rue Félix Terrier dans le 20ème (entre Porte de Montreuil et Porte de Bagnolet). La façade du magasin est large et se présente sous un air de “boutique au coin de la rue”, ni désuet, ni clinquant. De larges fenêtres éclairent le lieu.

Nous entrons et nous retrouvons presque l’installation de la rue du Borrégo : le choix de produits vendus en vrac dans des bocaux en verre de récupération et consignés (légumes secs, farine, riz, pâtes, boulghour, huile, vinaigre, sel, sucre, épices, thé, café, bicarbonate, lessive, shampoing etc), des légumes et fruits bio ou issus de circuits courts en provenance de Périgny s/Yerre (94) ou Piscop (95), des produits laitiers, des œufs, du chocolat, des conserves etc et même des huiles essentielles et des bonbons colorés en gélatine (végétale) près de la caisse comme dans toute épicerie digne de ce nom. Les petits rideaux cousus en tissu africain qui égayent et cachent le bas des rayonnages sont toujours là.

Nous sommes accueillis par une équipe de trois personnes :  Ouessale, la seule salariée de la Source, Marie-Christine et Régis, deux coopérateurs. On nous offre un café parfumé à la cardamome (c’est délicieux et préparé selon une recette de l’un des coopérateurs qui vient de s’éclipser) et on nous fait visiter les nouveaux locaux : la surface est équivalente à celle de la précédente boutique mais il y a un sous-sol en plus qui permet de stocker des emballages et surtout qui accueille dans un coin-salon, les réunions des divers groupes et du Conseil d’administration. Il y a une cuisine à l’arrière de la boutique, c’est là que se tiennent les ateliers.

L’équipe présente est souriante et pleine de projets. “Le 10 mars, qui vient pour la récolte de sève de bouleaux ?”, demande Ouessale. Mais qu’est ce donc que cette récolte ? La sève de bouleaux, à quoi cela sert-il ? Ce n’est pas un peu bobo ce truc, me souffle Jiminy Criket (la bonne conscience de Pinochio). Il se trouve qu’un producteur situé près de Fontainebleau a proposé à l’équipe de se joindre à la récolte de ce breuvage. Consommée depuis toujours au début du printemps, dans certaines régions d’Europe de l’Est, la boisson a des vertus diurétiques, drainantes, reminéralisantes, cicatrisantes. Alors, l’équipe qui aime à se présenter comme des expérimentateurs, tente l’aventure. Il leur arrive aussi d’apporter un soutien ponctuel à un agriculteur, comme les fois où ils sont partis curer les poulaillers de leur fournisseur d’œufs. Un sacré coup de main !

C’est bien enthousiasmant me direz-vous ! Un idéal couplé à du pragmatisme, de la méthode et de la démocratie dans l’organisation, de l’ouverture vers les plus fragiles, de l’entraide à l’intention des petits producteurs. En bref, de belles valeurs et du sens dans l’action quotidienne ! Qui ne rêve pas de cela ? Mais une ombre passe sur le visage de Ouessale. Cette dernière me livre les difficultés auxquelles l’épicerie est confrontée et je comprends que cette jeune femme dynamique et pugnace ressent la lassitude des “petits poucets” qui ne pesant rien face aux “ogres” tels que les grandes surfaces installées dans l’arrondissement, sont dédaignés.

L’épicerie paye à un bailleur social un loyer de 1 600 euros avec les charges, c’est bien plus que ce qui est pratiqué dans le quartier (le réparateur de scooters sur le boulevard paye 1 000 euros) et 3 fois plus que ce que ce même bailleur réclame à une association installée dans un local voisin de même superficie. C’est incompréhensible pour une société dont l’activité n’est pas à but lucratif et qui fait valoir un agrément Entreprise solidaire d’utilité sociale (ESUS) délivré par l’Etat. Le bailleur n’en a cure, les élus ne semblent pas connaître le sens de ce label. Ouessale a rencontré les élus de l’arrondissement, le responsable du bailleur, des promesses ont été formulées, mais rien ne se passe.

Elle a proposé à la Mairie une prise de participation dans la société, cela lui donnerait le droit d’être informée et d’être partie prenante dans les décisions. Pas de réponse. La Source a besoin d’un raccordement à Internet, c’est un droit tout comme celui de disposer de l’électricité et de l’eau courante. Mais le bailleur le lui refuse et n’engage pas les travaux qui permettraient de disposer de ce service. Elle se trouve donc dans l’obligation de payer un raccordement à internet via la 4G ce qui lui coûte 120 euros par mois. C’est beaucoup trop pour ses faibles moyens.

La Source attend les 300 000 euros auxquels elle peut prétendre au titre de son projet lauréat dans le cadre du budget participatif 2021 de la ville de Paris. Cela devait lui permettre de s’installer dans un local du Wiki village, projet immobilier à proximité de son implantation actuelle et dont une partie de l’espace devait être réservée à des associations. Mais le promoteur ayant abandonné cette partie du projet pour ne construire que des bureaux, il n’est plus question pour la Source de s’installer dans le lieu. Non seulement, elle ne reçoit aucune réponse à ses courriers adressés aux élus du 20e au sujet de cette somme mais le 30 août il sera mis fin à son bail. Comble de l’incompréhension : on conseille à la Source de s’installer dans un quartier moins populaire pour pouvoir faire plus de profits.

A la Source, on se sent incompris et abandonnés par ceux-là même qui s’étaient réjouis et avaient communiqué autour de l’installation de l’épicerie dans un quartier prioritaire. Et pourtant, un projet comme celui-là qui tient compte des conditions économiques actuelles difficiles pour les familles les plus pauvres, soutient l’importance de la sécurité alimentaire pour tous, et joue un rôle social dans le quartier en accueillant pour un café ou un atelier les voisins et voisines, ne devrait-il pas bénéficier du soutien actif de ceux qui prétendent défendre des valeurs d’égalité et de solidarité tout en luttant contre les discriminations ?

Nous sommes touchés par cette situation qui interroge sur la place qu’une société souhaite donner à ce genre de structure et aux valeurs qu’elle porte, sur l’adéquation entre discours politique et réalité du terrain, sur le fonctionnement de nos institutions et des bailleurs sociaux. Nous souhaitons modestement apporter notre soutien à notre manière à la Source en tentant d’attirer l’attention d’élus à l’écoute et surtout courageux et actifs.

Si vous avez un goût pour le collectif et le partage, des interrogations sur les modèles économiques et sociaux de notre époque, de la curiosité pour les expérimentations, allez rencontrer Ouessale et son équipe. Peut-être y trouverez-vous les motifs d’un engagement qui vous correspond. La Source est actuellement à la recherche de soutien en informatique, de nouveaux coopérateurs (3 heures de travail bénévoles par mois sont attendues) et de financements via des partenariats ou des subventions. Et surtout, n’oubliez pas de nous écrire pour nous dire ce que vous en pensez et nous faire partager votre expérience.

>> Epicerie coopérative La Source, 4 rue Félix Terrier, 75020 Paris. Station de tram : Marie de Miribel, Métro : Porte de Bagnolet, Porte de Montreuil, Ouverture : mercredi, jeudi, vendredi, samedi de 9h00 à 20h30. contact@cooplasource.fr

Isabelle Parraud
contact@placedesfetes.info

 

La réponse de la mairie
Lila Djellali, adjointe au maire du 20e en charge de l’économie sociale et solidaire (ESS) et de  l’alimentation durable : “Nous soutenons le projet de La Source et nous sommes là pour les aider, dans les moyens que nous avons. Nous les avons rencontrés trois fois depuis leur nouvelle installation et nous avons également échangé plusieurs fois par téléphone. Lors de cette visite sur place, je les ai alertés sur le fait que leur loyer était trop cher et que le local se trouve en retrait du passage et manque de visibilité. On avait mis un warning. Il s’agissait pour eux de ne rester que deux ans avant de rentrer dans les locaux de Wiki Village, et cela leur convenait. Nous n’avions que ce local de disponible. 

Ensuite, après que La Source nous ait alerté sur leurs difficultés avec le bailleur et les charges, nous avons cherché à négocier avec le bailleur pour revoir le tarif à la baisse et nous avons lancé une rencontre avec tous les acteurs (bailleurs, la source, GIE, le cabinet du maire).  À partir du moment où tout sera remis à zéro sur les compteurs, le bailleur est prêt à baisser le loyer comme convenu en réunion. Un vœu des écologistes sera proposé prochainement en Conseil de Paris pour avoir une aide permettant de mieux  accompagner ces structures d’utilité sociale à travers les charges fixes donc les bailleurs sociaux. Car il ne s’agit pas d’un problème isolé. Beaucoup de structures se retrouvent en difficulté à cause des conséquences du Covid, de l’inflation et de la hausse de l’énergie. 

Quant au budget participatif, il nous n’arrivons pas à débloquer la somme, car il a été fléché pour intégrer Wiki Village (qui se présente comme “village urbain dédié à l’innovation sociale et environnementale”). On exprime notre volonté politique, on fait du forcing, mais on se bloque à l’administratif. Ce lieu privé (Wiki Village) devait au départ pouvoir accueillir du public, et donc des commerces, mais le projet a évolué et ils sont revenus sur leur engagement d’accueillir La Source. Ce que l’on déplore fortement. Nous avons également revu Wikivillage avec le Maire et Nathalie Maquoi en charge de l’innovation sociale pour que nous puissions comprendre ce changement soudain et nous comptons bien les revoir. Mais encore une fois, c’est un projet privé de l’ancienne mandature dont on hérite et dont on essaie de faire en sorte qu’il ne soit pas hors-sol.”

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