Le nom d’Alfred Nakache est gravé depuis cinq ans au panthéon mondial de la natation, un musée situé en Floride, à Fort Lauderdale. Une consécration pour ce champion aux multiples médailles d’avant et après la guerre, arrêté par la Gestapo puis déporté. L’Association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement de Paris (AHAV) nous dresse son portrait.
Peu de gens connaissent cet ancien champion français de natation. Son nom est malgré tout opportunément réapparu en cette année 2024, associé aux exploits olympiques de Léon Marchand. Il est vrai qu’à ces jeux olympiques en France 2024, les victoires françaises aux épreuves de natation ont été impressionnantes. À sa tête, Léon Marchand quintuple médaillé devenu une star internationale. Au point que pour la deuxième année consécutive, le journal L’Équipe vient ce 26 décembre 2024 de l’élire champion de l’année.
Alfred Nakache et Léon Marchand
Or, cette même année, de nombreux médias ont fait le lien entre lui et Alfred Nakache un peu oublié. Il en était bien autrement au milieu du vingtième siècle, à propos de cet ancien champion de natation au parcours humain et sportif hors du commun. Son nom est revenu aujourd’hui au plan national et même international.
Parmi les médias français qui associent leurs noms, citons France bleu, Le Figaro, Le Monde, Le Point, Le Parisien, Midi-Libre, Le Nouvel Obs, les différentes stations de Radio France… Ainsi dans sa partie magazine, l’article du Monde daté du 29 septembre dernier titrait : « D’Alfred Nakache à Léon Marchand, Toulouse, reine des bassins ».
Qu’ont-ils effectivement en commun ? Tout d’abord, ils ont fait partie du même club de natation, le Toulouse Olympique Employés Club (TOEC). Tous les deux se sont entraînés dans cette même piscine toulousaine, celle qui portera au moment de la guerre le nom d’Alfred Nakache.
La première piscine au nom d’Alfred Nakache
Pourquoi cette décision de la dénommer ainsi dès le 9 octobre 1944 ? Il faut savoir qu’en août 1944, la presse vient d’annoncer son décès, et son club – qui a aussi aidé son champion durant cette période tragique – le croit mort. Alors en apprenant la nouvelle, le TOEC prend rapidement la décision d’attribuer son nom à la piscine.
La mort annoncée d’Alfred Nakache-France-soir du 30 août 1944
Et puis, le 28 avril 1945 à la surprise de tous, Alfred Nakache est revenu d’Auschwitz. Il se trouve dans un triste état mais bien vivant. De 85 kilos avant la déportation, il en est revenu avec un poids de 41 kg et il découvre alors la piscine portant son nom. Puis sans attendre, il va reprendre son entrainement et dès l’année suivante, à la surprise de tous, il ira jusqu’à récolter de nouvelles médailles.
Champion de France, déporté juif
Alfred Nakache est né à Constantine en 1915 dans une famille juive de 11 enfants. Qui peut imaginer ce que confiera son frère Robert, à savoir qu’Alfred tout jeune détestait l’eau. On connait la suite : dès 1935 il remporte le championnat de France en brasse papillon. Au total il obtiendra 21 médailles nationales.
En 1936, il figure parmi les membres de l’équipe de France aux JO de Berlin alors que les juifs allemands n’ont pas le droit de s’y présenter. En finale du relais 4×100 m nage libre, les Français finissent quatrième. Pas de médaille donc pour eux, mais les Allemands, chez eux, finissent juste derrière, à la cinquième place. Un échec sous l’Allemagne nazi.
Arrive le régime de Pétain et sa législation antisémite, il perd alors son poste de professeur d’éducation physique au lycée Janson de Sailly. Et pourtant, ce champion français est vécu comme si indispensable qu’il peut exceptionnellement continuer à nager pendant les premières années de la guerre. Il ira jusqu’à battre le record du monde du 200m en 1941. Et en 1942 il cumule ses records au point de paraître cinq fois en tant que champion de France.
La déportation d’Alfred Nakache à Auschwitz
En décembre 1943, il sera finalement raflé. Sa déportation commencera en janvier 1944 à Auschwitz avec sa femme Paule et sa fille Annie âgée de deux ans. Elles finiront toutes les deux tuées sur place comme il l’apprendra plus tard. Surnommé le nageur d’Auschwitz, les nazis le reconnaissent et il sera victime d’humiliations supplémentaires. Les officiers SS jetaient leurs poignards au fond d’un bassin de rétention d’eau et l’obligeaient à aller les chercher avec les dents. Mais lui, de son côté, en été 1944, allait effectuer en cachette quelques longueurs chaque dimanche dans le dos des SS, avec la complicité d’autres prisonniers qui faisaient le gué.
Un héros ordinaire, un type bien comme le dit si aimablement l’historien Pierre Assouline. Il avait auparavant intégré la résistance juive à Toulouse avant finalement de se faire arrêter. De forts soupçons se sont alors porté sur son rival, le nageur Jacques Cartonnet, qui l’aurait livré, alors que lui est devenu milicien. Pour l’ensemble de ses faits pendant la guerre, Cartonnet sera condamné à mort par contumace comme milicien en 1945.
Les médailles de l’après-guerre
Dès son retour de déportation, Alfred Nakache revient à la compétition avec succès. Citons simplement sa performance le 8 août 1946 à la piscine des Tourelles. Ce jour-là, il est devenu champion de France et recordman du monde 3 × 100 m trois nages, avec Georges Vallerey -nouveau nom de la piscine des Tourelles– et Alex Jany. Au total aujourd’hui, la longue liste de ses exploits lui vaut à nouveau sa renommée, lui le spécialiste de la brasse papillon et de la nage libre, également prof de gym et même joueur olympique de water-polo. En 1983, il meurt à 67 ans d’une crise cardiaque, simplement en nageant comme il le faisait chaque jour.
La piscine rue Dénoyez
Quant à la piscine du bas Belleville qui porte son nom, elle a été construite relativement récemment. À l’initiative de la mairie du 20e arrondissement, le Conseil de Paris délibère en avril 2005. Les élus émettent ce vœu, à savoir que : « Le nom d’Alfred Nakache soit donné à la (future ) piscine située au 4-12 rue Dénoyez », avec comme objectif son ouverture en 2007. Cette piscine innovante, construite par l’agence Berger et Anziutti, sera finalement inaugurée le 2 avril 2009 par le maire de Paris, Bertrand Delanoë. Ce centre sportif au coût estimé à 28M€, dispose d’un bassin sportif de 25m, un bassin d’apprentissage de 12,50m et une pataugeoire pour les enfants.
Sur son site, l’architecte Patrick Berger présente son œuvre en débutant ainsi « Nager sur rue. La piscine est reliée à la rue d’un seul trait. Son volume parallélépipédique croise le volume parallélépipédique de la rue Dénoyez : dehors, on voit des lignes d’eau se diriger vers la chaussée ; dedans, en nageant, on se dirige vers les passants. La tête hors de l’eau est à un mètre au-dessus du niveau du trottoir, si bien que les plans aquatiques et le sol urbain se confondent presque, la natation est en ville. »
>> Retrouver l’article « Alfred Nakache et sa piscine à Belleville » (en intégralité), sur le site de l’AHAV, l’association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement de Paris.
Pour en savoir plus :
Le Nageur par Pierre Assouline, éditions Gallimard (2023)
Le nageur d’Auschwitz de Renaud Leblond (2022)
Le Nageur d‘Auschwitz, documentaire de Christian Meunier (2001)
Papillon, court métrage d’animation de Florence Miailhe (2024)
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