Alors que se tient du 14 au 20 octobre 2024, la 90e édition du “Mondial de l’Auto”, à Paris, porte de Versailles, la voiture électrique est sous les feux des projecteurs. La voiture à vapeur a, elle, depuis longtemps été oubliée… Mais l’Association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement de Paris (AHAV) a décidé de nous rafraîchir un peu la mémoire.

On a un peu oublié les voitures à vapeur ; heureusement dans le 20e arrondissement, la rue Serpollet nous rappelle qu’un record mondial de vitesse a été atteint par Léon Serpollet en 1902 au volant d’un véhicule à vapeur construit dans les usines de la rue Stendhal.

Tout commence en 1879, dans un atelier familial de menuiserie à Culoz, dans l’Ain.Deux frères, Léon et Henri Serpollet inventent le générateur à vaporisation instantanée, un perfectionnement du moteur à vapeur, afin de faire fonctionner leurs machines à découper le bois. Léon et Henri “montent” à Paris mais Henri ne supporte pas la vie dans la capitale et retourne rapidement à Culoz. Les deux frères vont poursuivre leur collaboration par correspondance pendant 25 ans pour perfectionner leur invention.

Serpollet et Larsonneau, rue des Cloys, Paris 18e

Léon s’associe en 1888 avec un homme d’affaires, Larsonneau : la Société des Moteurs Serpollet Frères commence la fabrication de moteurs à vapeur dans les ateliers de Larsonneau, rue des Cloys, et se lance dans la réalisation d’un tricycle à vapeur. Ce tricycle effectue le trajet de la rue des Cloys jusqu’à Enghien à la vitesse moyenne de 30km/h. Serpollet et Peugeot présentent à l’Exposition Universelle de 1889 la Serpollet Peugeot, ou tricycle Peugeot type 1.

En 1890, Serpollet part pour Lyon avec un nouveau tricycle ; il arrivera dix jours plus tard après quelques incidents techniques mais sous les ovations du public. En 1891, il commercialise un quadricycle ; ses premiers clients sont prestigieux : l’industriel Gaston Menier (enterré au Père Lachaise) le comte de Greffulhe, l’écrivain Robert de Montesquiou. Il profite du mariage de sa sœur à l’église Saint-Ambroise en janvier 1892 pour faire parader cinq de ses véhicules dans le cortège.

Cependant ses modestes usines de la rue des Cloys ne peuvent rivaliser avec ses puissants concurrents, comme Panhard-Levassor et Peugeot, qui adoptent le moteur à essence : en 1893, il abandonne ses recherches sur l’automobile pour se consacrer à la propulsion des tramways et des trains. De nombreuses compagnies de tramways européennes adoptent le moteur Serpollet. Dans les chemins de fer, les rames Serpollet circulent en France, en Allemagne et au Japon. Mais quand les tramways et les chemins de fer se tournent vers l’électrification, les commandes s’espacent et la situation de la société Serpollet devient catastrophique.

Tricycle à vapeur Serpollet Peugeot – Musée des Arts et Métiers – Wikimedia Commons

Serpollet et Gardner, rue Stendhal, Paris 20e

En 1898, Serpollet s’associe avec un magnat américain, Franck-Lacroix Gardner. La société Gardner-Serpollet s’installe rue Stendhal dans une usine louée par Léonard Paupier, fabricant d’instruments de pesage et de matériel de chemin de fer. Serpollet revient à la construction automobile et à sa passion de la compétition. Ses automobiles à vapeur obtiennent la Médaille d’or à l’Exposition Universelle de 1900. Gaston Menier lui remet en 1901 les insignes de chevalier de la Légion d’honneur.

Il gagne trois années de suite la Coupe Rothschild. En 1902, à Nice, il est au volant de l’Œuf de Pâques, véhicule prototype qui doit son nom à sa forme aérodynamique et à la date de l’épreuve (13 avril 1902). En couvrant un kilomètre à 120 km/h, Serpollet bat de 15km/h le record de vitesse établi en 1899 par Camille Jenatzi sur son engin électrique, la Jamais-Contente. Ses victoires en compétition stimulent la commercialisation de ses automobiles. Le roi d’Angleterre, le chah de Perse, Louis Lumière et le docteur Yersin au Vietnam roulent en Serpollet. Une usine de montage est inaugurée à Londres en 1903, une filiale italienne est créée à Milan en 1906.

Bâtiments industriels en activité sur le site des usines Gardner-Serpollet
Avant (1898) Ateliers de Léonard Paupier – Wikimedia  –  Après (1913) Imprimerie Henon – Art et Industrie
© Delcampe – © Gallica BnF

Serpollet et Darracq, à Suresnes

Cependant la concurrence des voitures à essence provoque le déclin des commandes. En 1906, Gardner cède ses parts à Alexandre Darracq. Cet entrepreneur a investi les bénéfices de sa fabrique de cycles Gladiator dans une usine d’automobiles à Suresnes. Darracq est l’un des premiers constructeurs à fabriquer des véhicules “en série”. Il veut profiter de l’essor des transports en commun en s’associant avec Serpollet pour construire des véhicules commerciaux, fourgons, camions et omnibus. Deux camions et un omnibus Darracq-Serpollet prennent les trois premières places de la course de poids-lourds Paris-Marseille-Paris, ce qui apporte des retombées financières et commerciales immédiates.

Atteint d’un cancer de la gorge, Léon Serpollet meurt en 1907 à 48 ans. Son discret frère Henri, avec qui il a mené toutes ses recherches et qui est toujours resté loin des milieux automobiles parisiens, assiste au triomphe du moteur à explosion avant de mourir en 1915. Les usines Darracq continuent la fabrication de véhicules utilitaires à vapeur jusqu’en 1920. Aux Etats-Unis, avec les frères Stanley, les voitures à vapeur résistent encore jusqu’en 1924. L’un des points faibles du moteur à vapeur était sans doute la complexité du processus de démarrage, comme en témoigne cette vidéo où un ingénieur passionné nous emmène sur les routes des Alpes-Maritimes avec sa voiture à vapeur de marque Stanley … après ¾ d’heure de mise en route.

La rue Serpollet

Les fortifications de Paris sont déclassées en 1919 et progressivement détruites jusqu’en 1929. Un décret de 1925 prévoit le rattachement à Paris des territoires de l’ancienne zone militaire non ædificandi. Cette annexion est réalisée en trois étapes dont la dernière ampute le territoire de Bagnolet de 17 ha en 1930. A la demande d’Alphonse Loyau, conseiller municipal qui dans sa jeunesse a travaillé comme mécanicien chez Gardner-Serpollet. Une rue – ouverte en 1933 dans la zone annexée de Bagnolet (aujourd’hui dans le quartier Python-Duvernois) – porte le nom de Serpollet.

>> Retrouver l’article Serpollet pionnier de l’automobile” (en intégralité), sur le site de l’AHAV, l’association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement de Paris.

Rue Serpollet donnant vers le boulevard Davout – VV

La première voiture Serpollet, dite “voiture miracle” © Gallica BnF

Notice d’utilisation d’automobile datant de 1901 © Gallica BnF


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