Un studio meublé de 14m2 à 1000 € à Alexandre Dumas, un deux-pièces de 32m2 à 1550 € Porte de Bagnolet, un trois-pièces de 55m2 à 2300 € à Gambetta… La loi sur l’encadrement des loyers n’est pas respectée dans de nombreuses annonces en ligne que nous avons pu consulter ces dernières semaines dans le 20e arrondissement de Paris. Explications.

Il y a la loi.. et il y a la vraie vie. Si les loyers sont censés être encadrés à Paris depuis 2019, dans les faits, certains propriétaires affichent des loyers à des prix exorbitants. Comme le marché de la location joue en leur faveur, avec très peu d’offres en ce moment, ils parviennent malgré tout à louer leurs biens. En misant sur le fait que très peu de locataires osent dénoncer des loyers excessifs. 

Pourquoi le marché locatif est-il particulièrement tendu ?
L’an dernier, l’excuse toute trouvée était les Jeux olympiques, avec des propriétaires qui gardaient leurs biens sous le coude pour les louer à prix forts sur cette période. Sauf que la poule aux œufs d’or n’a pas toujours été au rendez-vous, et que la situation ne s’est pas améliorée depuis. “Avec l’explosion des Airbnb, il reste toujours très peu d’appartements en location classique”, nous confirme Céline, ancienne pro dans l’immobilier. Autre explication : les taux d’intérêts élevés, qui ont ralenti l’accès à la propriété. “Bloqués dans leur projet d’achat, de nombreux locataires se sont retrouvés contraints de le rester, ne permettant pas de roulement, empêchant ainsi au stock de biens à louer de se reconstituer”, expliquait à BFMTV Alexandra Verlhiac, économiste chez SeLoger. À cela s’ajoutent enfin, près de 145 000 logements qui resteraient vacants à Paris. Souvent des personnes âgées et multipropriétaires qui n’ont pas envie de s’embêter à louer, n’en n’ont pas besoin financièrement, ou n’ont pas envie d’investir dans la rénovation énergétique de leurs biens. 

Quels sont les moyens de contourner l’encadrement des loyers ?
Tous les ans, la préfecture de Paris définit des plafonds de loyer par m2, aussi appelés  “loyers de référence majorés”, que les propriétaires ne doivent en principe pas dépasser. Ces plafonds varient d’un bien à l’autre selon plusieurs critères : le quartier, le type de bien (appartement/maison), le nombre de pièces, l’année de construction et le type de location (meublée/non-meublée). Dans certains cas exceptionnels des “compléments de loyers” peuvent se justifier : grande terrasse, vue tour Eiffel, jacuzzi, bâtiment historique… Sauf que ces exceptions deviennent la norme, y compris pour des critères bidons pas du tout prévus par la loi : baignoire, lave-linge, triple exposition, appartement rénové…

“Les propriétaires vont rafraîchir, équiper leur appartement meublé, installer le wifi… pour pouvoir le mettre 200 € au-dessus du loyer de référence”, témoigne Julien, agent immobilier qui habite le 20e. Si les critères sont plutôt flous pour justifier un complément de loyer (le texte parle de “caractéristiques de localisation ou de confort (…) déterminantes par comparaison avec les logements de la même catégorie”), les critères d’exclusion sont eux très précis : sanitaire sur le palier, humidité sur les murs, DPE de classe F ou G, vis-à-vis à moins de 10 mètres, mauvaise installation électrique… 

Une prise de risque limitée pour les proprios récalcitrants
“Tout le monde peut contourner l’encadrement des loyers, mais c’est à ses risques et périls. Sauf que trop peu de locataires lisent vraiment leur bail et se retournent contre leur propriétaire. Il y a, je crois, seulement 0,3 % de recours en justice. Les proprios le savent bien et en profitent”, témoigne Céline, notre ancienne pro de l’immobilier. Depuis 2023, une dizaine d’agents municipaux sont chargés d’instruire les dossiers. Entre janvier et septembre 2023, ce sont 1 181 signalements qui ont été recueillis, dont 82 % portent sur des petites surfaces (studios, deux-pièces). D’abord mis en demeure, les propriétaires sont invités à régulariser leur situation. À défaut, ils peuvent se voir infliger une amende supplémentaire. (Jusqu’à 5000 € pour le propriétaire d’un studio de 15m2 loué 900 € dans le 16e). 

“Bail code civil” et “bail mobilité” : d’autres astuces pour contourner
Datant du code napoléonien, le bail code civil connaît une forte progression : + 19 % en un an. Bien moins protecteur pour les locataires que le bail classique, il permet d’échapper à l’encadrement des loyers, ne permet pas de toucher d’aides (APL) et une taxe d’habitation s’ajoute aux charges du locataire, car le bien est considéré comme sa résidence secondaire. Lui aussi méconnu par de nombreux locataires, car créé plus récemment (2018), le bail mobilité est un contrat de location d’une durée comprise entre un et dix mois pour un logement meublé, qui permet là aussi d’échapper à l’encadrement des loyers. 

Quelles sont les limites de la loi ?
Comme le raconte Antoine, 34 ans, qui s’est retrouvé confronté à un loyer excessif dans le 20e arrondissement, il est difficile pour un locataire d’entrer en conflit frontal avec son propriétaire. Si vous voulez contester la partie “complément de loyer”, il faut vous manifester dans les trois mois qui suivent la signature du bail. Ce qui explique que des locataires s’assoient dessus, pour ne pas avoir à re-déménager tout de suite. Antoine lui a attendu d’avoir quitté son 20m2 du quartier de la Réunion – affiché à 820 € (+ 55 € de charges) – pour dénoncer son bail sur la plateforme de la mairie de Paris. (S’il s’agit de contester le loyer de base, vous pouvez le faire dans les 3 ans suivant la signature du bail). De son dossier déposé en octobre dernier, il n’a encore pas de nouvelles. Ce qu’il espère ? Récupérer 2 500 €  indûment perçus par son propriétaire, pendant les 18 mois de location. 

Pourquoi le 20e arrondissement est particulièrement touché ?
En mars 2023, le 20e arrivait en tête dans les 200 premiers signalements enregistrés par la Mairie de Paris. Plutôt logique quand on sait qu’il s’agit du deuxième arrondissement le plus peuplé de Paris après le 15e arrondissement. Si rien ne prouve que les dépassements de loyers soient plus systématiques ici qu’ailleurs, on aime faire l’hypothèse d’un arrondissement particulièrement militant et contestataire, où vous veillez au respect de vos droits.

Comment espérer trouver un bien malgré tout ?
Pour Antoine, l’emménagement à deux et le recours à du piston/des relations, lui a permis de retrouver un 40m2 à 1400 € (charges comprises) dans le 19e. Se tourner vers le logement social, c’est la solution qui a fini par fonctionner pour Dima : “Avec Action logement, il m’a fallu moins d’un an pour obtenir un T2 de 53 m2 à 1007 €, Allée Marie-Laurent, à quelques pas de Nation”. Clémence s’est elle lancée dans une recherche méga-active, “en doublant chaque mail d’un appel, avec des alertes sur tous les sites, en faisant un dossier de location hyper propre avec page de présentation…”. Il y a quelques mois, elle a décroché un deux-pièces de 32m2 avenue Gambetta à 1050 euros/mois. Soit 200 € de plus que le bien équivalent (exactement la même surface), qu’elle louait trois ans auparavant dans ce quartier. 

Locataire d’un T3 rénové rue d’Avron à 1800 €/mois, Cyrielle a été choquée de découvrir l’appartement (similaire) de ses voisins affiché à 2800 € dans une annonce en ligne. Ne trouvant pas preneur, le loyer a ensuite été baissé à 2 400€. “Je n’ose pas encore demander au couple qui y habite, s’ils sont au courant de l’encadrement des loyers”, nous confie-t-elle. On espère donc qu’ils liront cet article…

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