En combinant leurs pratiques artistiques, Magali Berdaguer, Marie Désert et Aude Mouillot proposent une œuvre onirique et engagée au sein de leur collectif, Magmaô. Ensemble, elles ont contribué à l’ornementation d’une cuisine de la cité Python-Duvernois dans le cadre du festival de street-art monumental Planète Périphérique. Elles répondent aux questions de Mon Petit 20e.
1/ Quelles étaient vos motivations pour participer à ce projet ?
Marie Désert : Ce qui m’a motivée, c’est que je fais évoluer ma pratique vers de la peinture sur murs depuis 2020. Tous ces projets me plaisent, pour plusieurs raisons. Ce sont des moyens de montrer des images à des gens qui ne vont pas forcément au musée.
Aude Mouillot : On s’est rencontrées au 59 Rivoli (squat d’artistes parisien, ndlr) on a décidé de monter un collectif pour travailler ensemble. Le festival planète périphérique était un moyen pour nous de pouvoir commencer notre projet en commun.
2/ Saviez-vous que le festival serait si démesuré ?
Magali Berdaguer : J’ai réalisé l’envergure du projet quand j’ai vu le bâtiment. C’est un lieu assez surprenant dans sa configuration architecturale et dans son emplacement. Il est totalement collé au périphérique ce qui est super étonnant pour un lieu de vie.
3/ Comment cela se passait au quotidien pour travailler dans ce lieu ?
Magali Berdaguer : En fait, le lieu a été ouvert pendant un mois pour les artistes et après chacun venait quand il pouvait. On était au premier étage. Chaque appartement recevait différents artistes. Et chaque étage était dédié à deux groupes avec des thématiques. Et je crois qu’il y a six thématiques en tout.
Marie Désert : C’était un petit peu de la réflexion en amont et de la réflexion en faisant ! On se demandait ce qu’on pensait chacune des choses, des fois on y allait comme ça sans se demander parce qu’on se fait confiance.
4/ La thématique pour les artistes femmes était “l’invasion”, comment a-t-elle été choisie ?
Magali Berdaguer : Au niveau de Magmaô, par rapport à l’investissement plastique qu’on voulait faire, avant même d’avoir vu le lieu, on s’est dit : c’est au bord du périphérique, c’est comme si on allait faire entrer le périph’, la nature à l’intérieur de l’appartement. C’est un lieu qui va être détruit. Donc on imaginait déjà le fait que ça soit un lieu envahi par l’extérieur. C’était notre point de départ.
Marie a été à la réunion de départ et a proposé pour la thématique le thème de l’invasion. Arrivées dans l’appartement pour la première fois, on avait chacune apporté des images et cette idée est née comme ça de travailler un espace aquatique et faire que cette cuisine soit engloutie et transformée par l’eau, par un univers aquatique.
5/ Il n’y avait pas de concertations entre les différents artistes pour travailler à une unité autour d’un appartement ou d’un étage ?
Aude Mouillot : Nous, notre appart, c’était celui des artistes femmes, on n’a pas forcément discuté ensemble de comment on voyait l’appartement dans sa finalité. On a décidé d’une idée et on l’a développée au fur et à mesure.
Magali Berdaguer : Il y avait des thématiques et après chacun a travaillé à sa façon. On a découvert qu’il y en avait d’autres qui travaillaient sur des univers aquatiques. Notamment un appartement à côté […] on trouve parfois des échos ! Mais ce qui est intéressant, c’est que c’est traité à chaque fois de façon différente, avec un style différent donc ça donne une variété, parce qu’il y en a qui travaillent à la bombe, d’autre à la peinture plus classique, d’autres qui ont fait des installations très contemporaines donc c’est extrêmement variés dans les pratiques !
6/ Comment avez-vous travaillé en tant que collectif ?
Aude Mouillot : Marie a une technique particulière de peinture qui utilise des couleurs qui sont proches des trois couleurs primaires. Un rouge, un bleu et un jaune. Elle a fait une partie du mobilier, on a dessiné un salon qui se fait envahir par l’eau. Après, nous, on a fait un fond très bleu avec Magali. Au fur et à mesure, on a rajouté des éléments et on repassait, retravaillait sur le travail des autres. Ça se construisait par couche successive en transparence. Chacune a mis son grain de sel sur le travail de l’autre.
7/ L’installation de sacs plastiques dans cet univers aquatique évoque la pollution des mers. Est-ce important d’apporter une réflexion écologique ?
Marie Désert : Bien sûr ! Complètement. Il y avait quelqu’un qui avait fait une réflexion en venant : “C’est féerique !”. On s’est dit qu’on ne voulait pas du tout que ce soit féerique. Certes on voulait que ce soit sympa, mais la réalité, c’est que la pollution gagne les océans, comme la terre d’ailleurs ! Il y avait cette idée de dénoncer. D’ailleurs ce qui est très étonnant, c’est que dans l’ensemble des appartements, on est quatre à avoir fait ça : l’aquatique avec des détritus. C’est quand même que ça nous touche !
8/ Vous vous étiez rencontrées au squat d’artistes 59 rue de Rivoli avec votre collectif, avez-vous l’habitude d’exposer dans des squats ? Est-ce complémentaire avec des formes d’expositions plus classiques dans des galeries ?
Magali Berdaguer : C’est quelque chose sur lequel je m’ouvre, qui n’était pas dans ma pratique au départ. Le passage au 59 rue Rivoli a créé la rencontre avec Aude et Marie. L’idée était de se rassembler pour à trois pour avoir une dynamique différente parce que la pratique artistique en atelier est très solitaire. On avait l’envie de pouvoir avoir accès à d’autres façons de créer ensemble.
Marie Désert : Pour moi, ce qui est important, c’est que les gens puissent voir l’art. Moi j’aimerais bien être dans une galerie, mais le truc c’est que ça se fait très rarement, et c’est de plus en plus compliqué. Quand j’ai exposé en galerie rue Charlot, il fallait que j’invite les gens à rentrer tellement ils n’osent pas y aller ! Et je me suis dit, ça c’est hors de question ! Donc effectivement j’essaye de trouver des lieux beaucoup plus démocratiques, qui invitent plus les gens à rentrer !
9/ Étiez-vous présentes pendant le vernissage ? Avez-vous pu discuter avec des visiteurs et avoir leurs retours ?
Aude Mouillot : Non, pas forcément, pas encore, je n’y suis pas retournée. Je pense y retourner parce que je n’imaginais pas ça comme ça, je ne pensais pas qu’il y aurait autant de monde. Donc je pense qu’il y a un intérêt pour nous d’être présentes !
Marie Désert : Pour les retours, les gens sont émerveillés parce que c’est immense, ils retrouvent une espèce de regard d’enfant ! Le lieu en lui-même est intéressant, on est curieux de voir comment c’est fait, au niveau de l’architecture déjà de base ! Et après de voir comment les artistes se sont emparés de l’architecture ! Les gens sont étonnés et surtout le truc, c’est qu’on a jamais fini de découvrir, moi, c’est ça qui m’a marquée.
L’exposition Planète Périphérique est à découvrir jusqu’au 7 mai au 19 rue Henri Duvernois les jeudis et vendredis de 15h à 19h et les samedis et dimanches de 12h à 19h. Entrée à prix libre.
Mathilde Gay
photos : Magmaô et Mathilde Gay
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