Aya Cissoko, 45 ans, est triple championne du monde de boxe. Cinq ans après son dernier titre mondial, elle se lance, aidée par Marie Desplechin, dans l’écriture de son premier livre Danbé, qui signifie “dignité” en malinké. Depuis, l’écrivaine a publié deux autres livres. Retour sur 35 ans de sa vie dans le 20e arrondissement.

Aya a grandi dans le quartier Père-Lachaise, puis Ménilmontant, et Jourdain : « Mon enfance s’est articulée là-bas, mon adolescence, ma vie d’adulte», dit-elle. Aujourd’hui, elle habite dans le 14e arrondissement, pour des raisons familiales, mais elle a gardé un pied-à-terre dans le 20e, elle sait qu’elle retournera y vivre : « C’est là-bas où je me sens bien, c’est là-bas où j’ai mes marques», confie-t-elle. D’ailleurs, elle se rend régulièrement à son club de boxe, le Boxing Club de Paris 20, situé au 114 rue Ménilmontant.

Son enfance est une période heureuse, pleine de souvenirs d’un 20e arrondissement que peu ont connu. À son époque, le quartier était moins bétonné qu’aujourd’hui avec beaucoup de terrains vagues qui sont, pour des enfants « des terrains de jeux à perte de vue ». Elle se souvient particulièrement du parc de Belleville qui était plus « roots » quand elle était jeune, dans lequel se trouvait un toboggan géant, le plus grand de tout Paris. À son époque, les enfants se déplaçaient en groupe, que ce soit pour aller au parc ou aux bains-douches situés rue des Pyrénées, c’était une « véritable aventure » pour eux.

Ils ont été la première génération d’enfants immigrés et étaient élevés « à l’africaine », c’est-à-dire qu’ils passaient beaucoup de leur temps dehors, dans la rue, sans que pour autant ce soit dangereux pour eux, car même à l’extérieur, les adultes étaient responsables des enfants et de leur sécurité. Les liens avec les commerçants du quartier étaient différents aussi : « C’était une autre manière de faire à l’époque. Les commerçants nous faisaient confiance. Par exemple, mon père qui n’avait pas de sous à l’époque pouvait aller chez le boucher et le boucher lui faisait crédit. Aujourd’hui, je me vois mal faire ça. Ça n’existe plus. » Ces moments sont des « souvenirs d’une extrême douceur » pour Aya.

La rencontre de la boxe

La douceur de son enfance s’arrête brutalement lors d’un incendie criminel déclenché dans son immeuble. Son père et sa petite sœur y perdent la vie. « C’est parce que c’était aussi formidable que la perte des miens est aussi difficile, on m’arrache à cette insouciance de l’enfance, très brutalement ». Après l’incendie, Aya Cissoko emménage dans la cité 140 rue de Ménilmontant. Elle y reste de ses 8 à ses 15 ans. La période est compliquée. Elle passe d’une période de beaucoup de liberté à une forme d’enfermement. C’est la fin de la vie d’avant. Chacun a maintenant ses responsabilités au sein de la famille et doit s’y tenir. Pour sa mère, l’échec de ses enfants n’est pas envisageable.

C’est à ce moment-là qu’elle commence la boxe. Sa mère travaille la nuit, et pour s’assurer de la sécurité de ses enfants, elle inscrit Aya et son frère aux cours de sport de leur école. Ils font beaucoup d’heures de sport : le mardi et jeudi à partir de 17h et le mercredi toute la journée. Aya commence alors à enchaîner les compétitions et les championnats de boxe pendant toute son enfance et son adolescence. À ce moment-là, il y a sa vie de famille, l’école et le sport. Elle se concentre sur ces trois aspects : « Cela me permet de pas trop penser et d’avoir un vrai cadre. »

À l’adolescence, Aya est scolarisée au collège des Amandiers, malgré une période très compliquée, elle en garde quelques bons souvenirs : « On faisait des fêtes le mercredi après-midi dans le 20e dans des locaux à poubelle, il y avait des DJ qui nous mettaient des sons de l’époque : du reggae, du hip-hop. Et on kiffait ». Aya est nostalgique du 20e qu’elle a connu, plus populaire qu’aujourd’hui.

Quand “l’enfant de pauvre” devient une championne

Elle a vécu en cité que ce soit au 140 rue Ménilmontant ou à la cité des Rigoles pendant un temps : « Il y a tout un réseau de solidarité qui se crée, car la précarité fait aussi qu’on a besoin des unes des autres. Ma mère, quand elle sortait du métro et qu’elle était chargée de courses, il y avait toujours un enfant pour l’aider à porter ses sacs. ». Elle se souvient que sa famille n’avait pas beaucoup d’argent, que c’était difficile, mais ça l’a forgé et lui a permis de devenir qui elle est aujourd’hui. Sa mère ne cessait de lui répéter : « Tu es une enfant de pauvre ». Elle est fière des valeurs que lui a transmises sa mère et espère faire de même avec sa fille.

Photo par Benedicte Roscot

Elle devient championne du monde de boxe française en 1999, puis 2003 et championne du monde de boxe anglaise en 2006. On propose son nom pour recevoir la légion d’honneur, mais Aya ne se sent pas légitime, pourquoi elle ? D’après elle, les personnes méritantes, ce sont celles qui travaillent dur, qui sauvent des vies, pas « juste » une championne du monde. « Pour moi, quelqu’un de méritant, c’est ma mère : elle a bossé toute sa vie, elle s’est cassée eu deux, elle a trimé pour élever ses enfants. » Aya, c’est une femme simple, humble : « Je considère tout le monde pareil, que tu sois ministre ou hôtesse de caisse, c’est pareil.» Et même quand elle va à l’Assemblée, elle porte des baskets, parce que c’est qui elle est : « la basket fait partie de ma culture ».

De la boxe à l’écriture

Aujourd’hui, Aya a totalement arrêté la boxe : « c’est un sport difficile, donc s’astreindre à un effort sans véritable objectif, ce n’est pas pour moi. ».  Elle est trésorière de son club, mais le sport c’est fini. Alors après l’expression par le corps vient l’expression par les mots. L’écriture, ça lui est un peu tombé dessus, tout comme la boxe. Son premier livre, Danbé naît grâce à Marie Desplechin. Au départ, elle ne voulait pas écrire ce livre. Pour elle, c’était difficile de raconter son histoire, une histoire qu’elle n’avait jamais racontée : « Même ma meilleure amie ne connaissait pas toute mon histoire. Il y a plein de choses qu’elle a apprises dans le livre. Il a fallu que j’accepte de rompre le silence.»

Finalement, elle se rend compte qu’elle a beaucoup de choses à dire et publie deux autres livres ensuite. Un quatrième est même en cours d’écriture. Outre ses activités d’écrivaine, Aya laisse libre expression à sa créativité : comédienne, réalisatrice, conférencière : « Je suis dans un moment où j’ai juste envie de kiffer, j’ai envie de travailler sur des projets qui ont du sens et qui apportent aussi un regard sur le monde et une plus-value au plus grand nombre ». 

Laurane Charpentier 

Danbé aux éditions Calmann-Lévy (2012)

N’ba aux éditions Calmann-Lévy (2016) 

Au nom de tous les tiens aux éditions Seuil (2022)

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