“Graphisme d’intérêt général”. C’est par ces mots que Dugudus se présente sur Instagram. Le savoir-faire de cette personnalité militante du quartier ? La création d’affiches engagées, qu’il imprime en sérigraphie dans son atelier-galerie de Belleville. On y voit notamment Cosette tenant des ballons “Tax the rich”, un ours polaire flottant dans une bouée ou un biberon-bouteille de coca orné d’un “Enjoy Capitalism”.
Le dessin, il est tombé dedans enfant, quand une prof a su déceler ses prédispositions et l’orienter vers l’école d’art Estienne. C’est de l’enfance aussi, que lui vient son surnom. De son père ch’ti qui utilisait le patois dugudus soit “p’ti bonhomme”. À 19 ans, l’étudiant doué rejoint les jeunesses communistes et se passionne pour le graphisme politique, hérité de mai 68. Puis il s’envole pour Cuba – à l’avant-garde en termes d’affiches révolutionnaires -, où il suit une école de design.
Personnellement, on l’a découvert lors de son vaste projet “Nous, La Commune” (de Paris), qui donnait vie à 50 figures de la foule insurgée. Ses dessins, accompagnés des biographies de l’historien Hugo Rousselle, sont devenus un livre et une expo à succès. Autre étape importante de sa carrière : la réalisation d’une affiche officielle de Jean-Luc Mélenchon lors de la dernière présidentielle, suivie d’une autre appelant à voter Nupes aux législatives.
Le reste de ses commandes est le fait de municipalités, d’assos ou d’entreprises de l’économie sociale et solidaire. Dernièrement, il a réalisé une carte de vœux pour la mairie du 19e, une affiche pour un écomusée à Rennes, ou un festival du cinéma social à Narbonne. Son souhait pour 2023 ? Une expo dans le 20e ! En attendant, ses affiches sont à admirer et à acheter à son atelier. Le bon plan : ses cartes à 1 € qui donnent envie d’envoyer des vœux. Enfin, des ateliers de sérigraphie y sont régulièrement proposés.
Si on y allait ce week-end ? Rdv pour la 3e édition du (petit) Marché de l’image animée, qui présentera ses travaux et ceux d’artistes qu’il apprécie. Vendredi 14h-19h, samedi 11h-19h & dimanche 11h-19h. 43, rue de la Mare.
INTERVIEW
Mon Petit 20e : Le dessin, ça remonte à quand ?
“Très jeune. Je dessine depuis très longtemps, alors que mes parents ne sont pas du tout là-dedans. J’ai grandi à Charenton et c’est une de mes profs qui a su voir ça. En classe de 5e, elle m’a dit : “écoute, il y a une école, il faut absolument que tu ailles voir les portes ouvertes”. C’était l’école Estienne, que l’on pouvait rejoindre, à l’époque, dès le lycée. Alors que je n’étais pas forcément bon élève, je me suis dit que j’avais deux ans pour avoir les meilleures notes du monde pour y entrer. C’était très sélectif avec 1000 demandes pour une classe de 30, si je me souviens bien. J’ai réussi à y entrer, et à poursuivre mes études là-bas. C’est l’une des quatre écoles d’art de Paris spécialisée autour des métiers du livre. Tu peux y apprendre tellement de choses : le graphisme, l’illustration, la gravure, l’imprimerie, la sérigraphie, la lithographie, typographie…”
Ton engagement politique date-t-il de tes études ?
“Vers mes 19 ans, j’ai commencé à me politiser. Il y avait à ce moment-là un mec qui s’appelait Sarkozy, que je ne pouvais pas saquer. Mais je ne trouvais pas grand monde autour de moi, à l’école Estienne, à avoir des convictions politiques. J’ai voulu me tourner vers un groupe de jeunes. Après différentes recherches, je me suis tourné vers la jeunesse communiste, qui semblait le mieux correspondre à mes idées. J’ai débarqué là-bas et je me suis rendu compte, en très peu de temps, qu’ils avaient des problèmes de communication. Ils voulaient des tracts, des affiches, des supports. Comme j’étais en étude de graphisme, je pouvais leur fournir ça. C’est comme ça que j’ai commencé à faire de l’image politique. C’est aussi en me confrontant à ce milieu politique que j’ai trouvé de l’intérêt à mes études, à voir que je pourrais travailler autrement que pour des grandes marques, pour la publicité.”
Dans quel héritage t’inscris-tu ?
“Il y a une grande culture française du graphisme politique. Le groupe le plus important pour moi, c’est le Grapus, des anciens des arts déco qui se sont rencontrés en mai 68 et qui ont travaillé ensuite pour le Parti communiste, pour la CGT. Jusque dans les années 90. Leur travail a été une révélation. Je suis aussi grandement inspiré par le graphisme politique cubain, à l’avant-garde, car j’y ai poursuivi mes études. J’ai débarqué là-bas sans parler un mot d’espagnol, et j’y suis retournée chaque année, notamment pour me documenter et écrire un livre sur l’histoire du graphisme : Cuba Grafica.”
Comment travailles-tu ?
“Aujourd’hui, ce sont essentiellement des mairies qui me passent commande pour des événements, des festivals. Mais ce peut être aussi de la politique, comme lors de la dernière campagne présidentielle où j’ai réalisé une affiche pour Jean-Luc Mélenchon. J’ai aussi peint une fresque à Montreuil “Sauvons l’hôpital public” sur un immeuble de six étages, en pleine pandémie, pour dénoncer le manque de reconnaissance et de moyens du personnel infirmier. Je travaille beaucoup aussi avec le milieu de l’économie sociale et solidaire, dont je partage les valeurs. Par exemple, je suis illustrateur de la Fondation Crédit coopératif, qui me fait découvrir des projets sur tout le territoire français, que je mets en images. De temps en temps, je dessine aussi pour la presse, pour des couvertures de livres.”
Pourquoi avoir ouvert une partie boutique dans ton atelier ?
“Une autre partie de mon activité, c’est de vendre mes sérigraphies, ici. Elles sont numérotées, et selon leur rareté, affichées grosso modo entre 10 et 100 €. Dans ce lieu, je propose aussi des ateliers de sérigraphies pour faire découvrir cette technique d’impression. Enfin, il m’arrive de déplacer mon atelier en manif, avec un système mobile, pour imprimer directement dans les cortèges. L’idée, c’est de diffuser l’image un maximum. Parfois certains dessins sont repris par d’autres, comme lors des manifs sur le mariage pour tous. Deux Mariannes s’embrassant avec pour texte, juste un “oui”. Quand cela arrive, c’est très fort, tu réalises que l’image ne t’appartient plus.”
Comment est né le projet “Nous La Commune” ?
“C’était un projet qui me tenait à cœur depuis pas mal de temps. Pendant le confinement, les quelques kilomètres que je pouvais faire me permettaient d’aller à Montmartre, voir mon pote historien Hugo Rousselle. En cogitant, on s’est dit que les 150 ans de la Commune arrivaient et qu’il fallait qu’on fasse quelque chose. Un peu à la façon d’Ernest Pignon-Ernest, un artiste qui avait fait des gisants pour le 100e anniversaire. Nous, on voulait montrer des visages. On est allé voir différents musées, dont celui de l’Armée, pour nous documenter et identifier les personnages, les costumes, les armes… L’idée, c’était de les peindre en taille réelle pour que la rencontre se fasse. Ce projet a reçu le soutien de la mairie de Paris, qui nous a permis de réaliser 50 silhouettes exposées sur les marches du Sacré-coeur avant de devenir une exposition itinérante et un livre.”
Quels sont tes projets à venir ?
“Continuer à faire ce que je fais, avec encore plus d’intensité, et plus de moyens. Je rêve de recouvrir les murs, encore et encore. Mais aussi de réaliser prochainement une exposition de mon travail, idéalement dans le 20e.”
Quel lien entretiens-tu avec le 20e arrondissement ?
“Cela fait plus de dix ans que mon atelier y est installé, d’abord rue Henri Chevreau, et depuis deux ans rue de la Mare. Si j’habite Belleville côté 19e arrondissement, je vais bientôt déménager côté 20e. C’est d’ailleurs dans cet arrondissement que je suis militant. C’est un arrondissement très marqué à gauche, avec un riche tissu associatif et militant, où Mélenchon parvient à faire ses meilleurs scores, avec parfois 60 % des voix dans certains bureaux de vote. Il y a une phrase qui dit : “On peut jauger la démocratie d’une ville en fonction des murs.” Quand on se balade dans le 20e, les murs parsemés d’affiches et d’œuvres de street art montrent que cette démocratie, elle fonctionne. On est en présence de gens qui aiment réfléchir, débattre, s’informer. On en voit certains écrire des choses sur des petits mots et les coller dans la rue. C’est trop bien, c’est notre patrimoine ça aussi. C’est pour cela que selon moi, il n’y a pas de meilleur quartier à Paris.”
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