En hommage à Idir (décédé en 2020 et inhumé au Père-Lachaise), le Conseil d’arrondissement a voté le 29 novembre dernier la dénomination de « square Idir » à la partie centrale de la place de Ménilmontant. L’histoire de ce chanteur s’inscrit dans celle d’une large population venue de Kabylie et installée dans le 20e, comme nous l’explique l’Association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement de Paris.
Idir est une légende de la chanson kabyle. Née en 1949 dans un village du Djurdjura, à 35 km de Tizi-Ouzou, capitale de la Grande-Kabylie, il émigre à Paris, en 1975, et fait de Ménilmontant et de la rue des Maronites son « quartier général ». On pouvait l’y croiser presque tous les jours « Au Petit balcon » ou à « La Pétanque », des cafés du quartier. Il venait régulièrement rencontrer la communauté Kabyle, à l’ACB (Association de Culture Berbère).
Créée en 1979, la pionnière des associations berbères à vocation socioculturelle, s’est inscrite dans l’histoire de Ménilmontant, où elle possède toujours un local au 37bis, rue des Maronites. L’originalité de l’association réside dans son action pour le rayonnement de la culture berbère.Elle propose également un accompagnement juridique, social et administratif.
Les cafetiers kabyles et la licence IV
Quant aux lieux de convivialité, les « bistrots » en particulier, remontons à la fin des années 50. A l’époque, les bougnats – nom donné aux Auvergnats montés à Paris – sont cafetiers et règnent sur un empire constitué d’hôtels, de restaurants et de bars de la capitale. Peu à peu, ils cèdent certaines affaires de l’est parisien aux Kabyles. L’indépendance de l’Algérie n’arrête en rien le processus. Avant 1962 et les accords d’Évian, seules les personnes de nationalité française pouvaient disposer de la licence IV, permettant de vendre de l’alcool à consommer sur place.
Pour éviter la perte de leur licence aux cafetiers déjà installés à Paris, des négociations amènent à ce que les ressortissants algériens soient exemptés de la condition de nationalité. C’est ainsi que les Kabyles commencent à acheter de plus en plus de cafés aux Auvergnats. Pour la première génération d’hommes venus travailler à Paris, les cafés tenus par les Kabyles étaient des lieux de vie pour ces immigrés qui se retrouvaient isolés.
Les ouvriers se retrouvaient dans ces bistrots après le travail, ou même ils habitaient dans l’hôtel au-dessus, ils pouvaient profiter du téléphone pour appeler les leurs en Algérie, ils y recevaient leur courrier, ils pouvaient bénéficier du soutien de personnes lettrées, sorte d’écrivain public, pour écrire à leur famille. Les arrière-salles servaient aussi à accueillir les « djeema », ces assemblées hebdomadaires qui les aidaient à supporter l’exil.
Chanter dans les cafés
Il ne faut pas oublier les chanteurs berbères et particulièrement kabyles qui viennent dans ces cafés pour resserrer le lien de ces immigrés avec leur terre natale, et conserver la culture kabyle. Cette production de la diaspora berbère ou amazighe est ainsi ancrée dans la langue vernaculaire des chanteurs, le tamazight.
Si la critique sociale et la douleur de l’exil sont toujours présentes, notamment dans la production de la première génération, un grand nombre des chansons peuvent être qualifiées de « chansons de protestation ». Chanter en kabyle contribue pour les musiciens kabyles au maintien de leur langue et participe à la résistance à l’arabisation imposée au Maghreb. En France, les chanteurs de la diaspora kabyle sont nombreux : Slimane Azem, Idir, Lounis Aït Menguellet, Lounès Matoub, Ferhat Mehenni, Karima, Malika Domrane, le groupe Djurdjura…
Parmi les plus anciens cafés kabyles dans le 20e arrondissement :
- Le Berbère Café devenu Le Berbère Rock Café, rue des Pyrénées au coin du passage Dagorno
- Ighouraf, à l’angle des rues des Vignoles et Buzenval
- La Cantine des Hommes libres (ou Cantine de Ménilmontant), rue des Maronites
Cette première génération fait tourner de modestes affaires, alors que la génération suivante, qui a repris la main dans les années 1990-2000, développe des affaires beaucoup plus prospères, face à la gentrification du quartier. Dans le 20e, ces restaurants, bars et autres cafés tenus par des familles kabyles sont pléthore. Elle reprend peu à peu des lieux mythiques en conservant leur âme historique, comme par exemple les Folies, anciennement les Folies-Belleville. Ou bien, elle rénove les cafés de quartier pour en faire des lieux fréquentés par la nouvelle population du 20e arrondissement : les Ours, les Rigoles, Mr Culbuto, Les nouveaux sauvages…
>> Retrouver l’intégralité de cet article « Idir et les kabyles dans le 20e« , sur le site de l’AHAV, l’association d’histoire et d’archéologie du 20e arrondissement de Paris.
>> A lire aussi dans la revue Pays sur Belleville, l’article « Au Comptoir des Kabyles ». « Jusqu’en 2017, les seul·es étranger·es à pouvoir obtenir la licence IV pour vendre de l’alcool dans un établissement commercial en France étaient les Algérien·nes. Cette spécificité, conséquence des accords d’Évian signés en 1962, a eu un effet direct sur les bars et cafés bellevillois : une large majorité a été rachetée par des Kabyles. Que reste-t-il de cet héritage aujourd’hui ? Un esprit communautaire certain, même si, au fil des années, les jeunes générations s’éloignent de la restauration pour prendre un autre chemin. «
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