Huit familles. Depuis deux siècles, elles forment une communauté religieuse dans l’Est parisien (dont le 20e arrondissement).
Ils se considèrent comme les élus de Dieu. Lointains héritiers des Convulsionnaires du cimetière Saint-Médard – qui se faisaient tabasser pour éprouver leur foi -, les quelque 3 000 membres de la Famille vivent isolés, loin de la “gentilité” (le monde extérieur), en attendant la fin du monde. Un groupe soupçonné de dérives sectaires par la miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires).
“Le seul moyen d’y rentrer, c’est d’y naître“. Depuis 1892, les arbres généalogiques s’entremêlent et les mariages entre cousin.e.s sont la norme. Mais ces unions intrafamiliales ne sont pas sans conséquences : maladies génétiques, main avec six doigts, syndrome de Bloom et autres handicaps sont légion au sein de la communauté. Pourtant, les “élus” n’y voient pas un résultat de leur consanguinité. Plutôt des défis de dieu. Qu’importe si la moitié de la famille s’éteint avant d’avoir eu 40 ans.
Les drames sont “étouffés pour préserver l’unité” du groupe
La communauté est organisée autour de règles strictes. Les membres ne doivent pas influencer la société (exit les postes à haute responsabilité, le droit de vote, les liens avec l’extérieur), interdiction de danser, d’aller à l’école au-delà de 16 ans… Les règles sont encore plus dures pour les femmes qui ne doivent ni se couper les cheveux, ni travailler, ni porter de pantalons, mais qui ont l’obligation de se marier jeune et surtout, vierge. La contraception et l’avortement sont également proscrits. Il n’est pas rare de trouver des familles comptant 18 enfants !
Refermé sur soi, le groupe n’accepte aucune dissidence et aucun contact extérieur. Des centaines de cantiques ou textes religieux apparentent la société à une terre inconnue peuplée de satans. Combiné à la culture du secret, “ce qui se passe dans la famille, se règle dans la famille”, cet isolement engendre un climat propice à toutes sortes de dérives. Les rumeurs d’abus physiques et sexuels sont nombreuses. Mais le drame est “étouffé pour préserver l’unité”.
Beaucoup de ces interdits biaisent le développement de l’individu. “Si ton grand-père est mort, c’est à cause de toi”, “si tu ne respectes pas les règles, ta sœur va en souffrir” : des menaces courantes au sein de la Famille. “Pour préserver le secret, et gérer comme on peut cette double personnalité intérieure et extérieure, j’ai appris à mentir très jeune”, explique Alexandre au Parisien. La miviludes s’inquiète notamment de l’isolement du mouvement qui constitue “une menace d’un point de vue psychologique” pour les enfants qui en font partie.
La solidarité : une valeur fondamentale
Pourtant, certains pensent s’y sentir bien. Des fêtes religieuses et des week-ends sont organisés, un tournoi de foot a lieu une fois par an à Vincennes… Dans la Famille, les moments de convivialité ne manquent pas. Tout comme la solidarité : des cagnottes sont organisées pour les veuves ou les plus démuni.e.s. Mais cette solidarité est renforcée… par l’alcool. Dès le plus jeune âge, les jeunes sont encouragés à consommer sans modération, et tant pis pour les risques d’alcoolisme, tant que ça soude la communauté. Un effet de meute qui, avec lavage de cerveau précoce des enfants, a prouvé son efficacité. La Famille continue de se perpétuer depuis déjà deux siècles.
Pour en savoir plus, on vous conseille l’article du Parisien, Dans le secret de “la Famille”, une communauté religieuse très discrète en plein Paris de Nicolas Jacquard, ou la vidéo de Konbini, “je suis né dans une secte, et j’en suis parti l Le Speech de Damien”. On a aussi lu le livre, La Famille, itinéraire d’un secret, de Suzanne Privat (2021), mais on est moins fan. Malgré ses 300 pages d’enquête, l’ouvrage se perd dans de nombreux détails historiques ou personnels. En revanche sa BD, co-réalisée avec Tristan Garnier dans la revue XXI, est un bon complément à l’article du Parisien. On vous la recommande vivement !
Texte : Salomé. Photos : Revue XXI.