Envie de voir une street artiste à l’œuvre dans le 20e ? C’est possible jusqu’à jeudi ! À l’occasion de l’exposition “Capitale(s), 60 ans d’art urbain à Paris”, la ville a invité plus de 70 artistes à orner les rues. L’Allemande Claudia Walde, alias MadC, une street artiste de renommée mondiale, est actuellement en train de peindre une fresque colossale sur un immeuble du 181 boulevard Davout. Elle a accepté de répondre à nos questions.
1) Comment as-tu commencé le street-art ?
J’ai commencé en faisant des graffitis dans les années 90. J’ai lu le livre Graffiti Art Germany qui expliquait la sub-culture. Ça m’a complètement fascinée parce que tu pouvais être créative et te faire un nom par toi-même. J’ai choisi un alias, une nouvelle identité d’artiste. Quand tu es adolescente, tu veux te trouver une identité, faire tes preuves, te rebeller contre tes parents et le système, donc le street art était super pour ça.
2) C’est à cette période que tu as choisi le nom de MadC ?
Oui, j’en avais aussi d’autres, mais c’est MadC qui est resté. J’ai l’impression d’être trop vieille pour être MadC, mais les gens me connaissent par ce nom. Pour mes travaux exposés en galerie, j’ai essayé de prendre mon nom civil, mais personne ne l’utilisait !
3) Comment définirais-tu ton travail en tant qu’artiste ? D’où tires-tu tes inspirations ?
Je dirais qu’aujourd’hui, je fais de l’art abstrait, mais il tire son inspiration du graffiti. Le mouvement et l’énergie viennent de la calligraphie que j’utilisais dans mes graffitis. C’est de là que vient mon art actuel, mais le public ne le voit pas forcément. Ce qui est assez intéressant, c’est que les artistes de graffitis qui font toujours ce travail de calligraphie remarquent tout de suite que c’est mon inspiration !
4) Comment es-tu parvenue au style abstrait et coloré pour lequel tu es connue actuellement ?
Il y a 20 ans, je n’aurais pas aimé ce que je fais maintenant. J’étais plus intéressée par l’art figuratif, j’étais fascinée par cette manière de peindre. Mais ensuite, au milieu des années 2000, j’ai appris à peindre de manière réaliste. J’utilisais des bombes de peinture pour faire des œuvres photo-réalistes. J’ai essayé beaucoup de techniques et j’ai peint énormément de choses : des visages, du feu, de l’eau… Ce qui est intéressant, c’est qu’à partir du moment où j’étais capable de tout peindre, la fascination s’est envolée. Je me suis sentie limitée par l’art figuratif.
Alors, j’ai commencé à expérimenter, je dirais entre 2008 et 2012. Ces années étaient difficiles parce que j’ai essayé d’oublier tout ce que j’avais appris pour trouver mon propre style et qui j’étais. Aussi, pour quelqu’un qui a commencé dans la rue, peindre sur des petits formats est très difficile : sur les murs, tu utilises tout ton corps pour peindre, c’est très physique, alors que sur une feuille ou une toile, tu n’utilises que ton poignet ou ton bras et tu perds l’énergie.
Je me suis demandé comment retrouver cette passion que j’ai en faisant un mur sur une toile. Ça a pris 4 à 5 ans de recherches pour trouver mon propre style. J’ai aussi dû changer d’outils. Je n’utilise plus de bombe de peinture maintenant, j’utilise des pinceaux, de l’aquarelle et de l’acrylique pour me tester et briser mes propres limites. Peu à peu, ce style a évolué, avant de devenir celui que j’ai aujourd’hui. J’ai transposé ce que je faisais sur les toiles pour le mettre sur les murs. J’ai essayé cet effet de transparence et d’aquarelle sur les murs et ensuite, je fais des allers-retours entre la rue et mon studio.
5 ) Quelles techniques utilises-tu sur cette fresque que tu réalises en ce moment dans le 20e ?
D’abord, j’utilise des rouleaux avec de la peinture acrylique, ensuite, j’utilise un pistolet à peinture. Ça ressemble à une perceuse, mais avec de la peinture à l’intérieur ! C’est utile pour les dégradés entre les couleurs. Et j’utilise de la peinture en bombe pour les détails et les lignes. Donc c’est un mélange de techniques !
Mais j’essaye d’utiliser le moins de bombes de peinture possible, pour des raisons environnementales et de santé. Je suis très bien protégée et j’utilise des couleurs qui ne sont pas trop dangereuses pour la nature. J’ai aussi changé mon utilisation des bombes de peinture parce qu’ici, le mur est très grand. Avant je faisais tout avec des bombes, mais on se retrouvait avec mille bombes vides juste pour un mur. Aujourd’hui, c’est plutôt autour d’une centaine, donc c’est assez grosse différence !
6) Quelles différences dans ton processus créatif et dans le rapport avec le public y-a-t-il entre les galeries et la rue ?
La plus grosse différence, c’est qu’en galeries, les gens viennent voir de l’art. Dans la rue, tu croises des gens qui s’en fiche de voir de l’art ou pas ! Donc les réactions peuvent être très différentes. Mais j’aime beaucoup avoir un public impliqué ! Les gens ne comprennent pas toujours ce que je fais, parce que c’est abstrait. Ils essayent de comprendre, de voir ce qui est représenté. Mais ce n’est pas grave s’ils ne voient rien, l’objectif c’est de faire ressentir quelque chose. Si ça peut rendre heureux ou même créer un sentiment d’inconfort, ou n’importe quoi d’autre, tant que ça provoque quelque chose en la personne, mon but est atteint !
7) Est-ce que tu décides en avance ce que tu vas peindre, ou tu te laisses porter par ton inspiration ?
Je dessine d’abord une toile, surtout pour ce mur. Et ce n’est pas un petit brouillon, c’est une vraie toile que je peins pendant plusieurs jours. Ensuite, je la prends en photo et je l’utilise comme modèle pour le mur. J’essaye de me tenir le plus possible à mon modèle, mais parfois, il faut faire des ajustements. Le plus gros problème quand on travaille sur de telles dimensions, c’est qu’on a besoin d’un monte-personne et c’est très cher. Quand un festival t’emploie, ils ont une limite de temps pendant lequel ça peut être utilisé. Aussi, quand tu voyages tu dois leur dire en avance quelles et combien de couleurs tu vas utiliser. C’est différent quand le mur est plus petit, dans ce cas j’y vais juste, sans plan particulier et j’utilise une échelle.
8) Le street art comporte souvent une dimension politique, avec l’idée d’amener l’art hors des murs des musées, est-ce quelque chose auquel tu penses dans ta création ?
Évidemment mon travail n’est pas politique au premier abord. Mais c’est sûr que travailler dans l’espace public c’est politique. C’est intéressant toutes les émotions que tu peux créer rien qu’en peignant en public. C’est fou, il y a des personnes qui détestent et te demandent qui t’a donné le droit de faire ça ; et d’autres apprécient vraiment et ont le sentiment que ça contribue à les faire se sentir chez elles.
J’ai peint dans beaucoup d’endroits différents. Par exemple au Liban et à ce moment-là le pays était encore en guerre et la situation était difficile. J’ai eu la possibilité de peindre dans un lieu plutôt sacré. J’essayais de comprendre la guerre et les difficultés que le pays traversait, et j’ai parlé avec beaucoup de personnes sur place. Mais en étant une étrangère, je ne peux pas complètement comprendre tous les enjeux en quelques jours. C’est pour ça que j’ai ressenti que ça serait vraiment arrogant de ma part de donner mon opinion politique sur le sujet.
Je préfère peindre quelque chose qui parle à tout le monde et dont personne n’est exclu. Par exemple, si je peins un visage avec la peau blanche, j’aurai l’impression que ça exclurait les personnes noires par exemple ! Ce n’est pas quelque chose que j’apprécie, je préfère que les gens se parlent, communiquent et partagent des choses ensemble. Et ce n’est possible qu’en trouvant quelque chose qui nous connecte tous. On a tous des émotions, des pensées qui peuvent être provoquées par de l’art abstrait. En ce sens, je pense que mon travail est politique, mais je ne donne à personne mon opinion et je pense que c’est très important.
9) Te sens-tu plus légitime d’aborder des questions politiques en Allemagne ?
Oui et non. J’ai pu rencontrer des politiques et discuter avec eux, mais j’ai toujours l’impression que je peux être d’accord avec certaines de leurs idées et d’autres pas du tout. C’est assez intéressant aussi de peindre en tant que femme, particulièrement dans certaines régions du monde. Par exemple, en Amérique du Sud, j’ai l’impression que les femmes le voient et se sentent plus fortes.
Mon travail est neutre, mais en même temps pas du tout ! La manière dont je choisis de travailler comporte aussi un message. Par exemple, j’ai toujours refusé de travailler avec des marques qui me demandaient de faire la promotion d’alcool. Je n’en bois pas et quand j’étais plus jeune, j’étais dans les mouvement straight-edge (sub-culture punk qui s’opposait à la consommation d’alcool, de tabac et de drogue NDRL.) Je refuse beaucoup de projets parce que ça ne me correspond pas ! Et quand je choisis des produits, je fais attention à ce qu’ils soient le plus respectueux de l’environnement possible. Aussi, pour venir ici, à Paris, je n’ai pas pris l’avion, nous avons utilisé la voiture. Ça se traduit plus dans mes choix et dans ma vie personnelle. Je ne crois pas vraiment qu’en faisait une fresque avec un message politique ça changerait beaucoup de choses.
10) Comment choisis-tu un mur que tu souhaites peindre ?
Quand on me propose un mur, je demande à voir des photos, je vérifie sur Google Maps les environs pour voir à quoi ça ressemble. Par exemple, ici à Paris et dans l’hémisphère nord en général, l’hiver tout est gris. En ce moment c’est très beau parce que les arbres sont verts, mais l’hiver c’est une autre histoire ! Donc je réfléchis à ce qui manque, comment aider les gens à traverser les périodes sombres, quel genre d’énergie je peux apporter à l’espace.
Parfois, ça peut être l’inverse ! Quand l’environnement est déjà très coloré, je vais essayer de calmer le jeu avec ma fresque. Ça dépend vraiment !J’aime aussi peindre dans des endroits nouveaux. J’apprécie beaucoup aussi les lieux étranges, comme dans la campagne au milieu de nulle part où les gens ne s’attendent pas forcément à voir du street-art.
11) Pour cette fresque dans le 20e, quel est ton projet ?
L’idée de base était d’incorporer deux murs dans une œuvre. Mais ce n’est pas possible parce qu’on n’a pas accès au deuxième mur avec le monte-personne. Donc j’ai changé mes plans et j’ai adapté ma toile préparatoire pour la transposer uniquement sur le grand mur.
12) Est-ce que le travail d’une street-artiste est solitaire ?
Avant, je travaillais seule, je planifiais, peignais et portais toute la peinture toute seule. Mais les murs sont devenus de plus en plus grands et ça devenait plus difficile de travailler seule. Donc il y a huit ans j’ai commencé à travailler avec une assistante. Actuellement, je travaille avec Anastasia. Elle s’occupe des relations avec la presse et m’aide aussi pour la création dans mon studio d’artiste à Halle, en Allemagne. Elle a aussi participé à cette fresque !
13) Quels sont tes prochains projets ?
Prochainement, j’ai une fresque à faire en Allemagne. Je prépare aussi des expositions solos cette année en Suisse, à Pékin et en Allemagne. Donc je dois finir les toiles pour ces événements. Ensuite, je vais peindre une autre fresque aux Etats Unis. Et je publie aussi un nouveau livre en juillet ! C’est une année chargée !
14) Quels seraient tes conseils pour les personnes qui veulent se lancer dans le street-art ?
Le plus important est de dépasser ses peurs. La peur, c’est toujours ce qui nous retient. On dit souvent qu’il faut suivre ses rêves, mais j’ai l’impression que la plupart des gens suivent leurs peurs. Par exemple, moi, j’avais le vertige et j’ai réussi à dépasser cette peur. La meilleure manière de dépasser ses peurs, c’est de sortir de sa zone de confort ! Ensuite, peu à peu on peut trouver qui on est.
15) As-tu profité de ton séjour pour visiter le 20e ? Qu’en as-tu pensé ?
Je n’ai pas beaucoup visité, mais j’ai vu qu’il y avait un restaurant éthiopien pas loin d’ici ! j’ai hâte de le tester parce que j’adore la nourriture éthiopienne et j’ai grandi en Éthiopie ! Ce que j’ai trouvé intéressant ici, c’est qu’il y a plein de types d’architectures différentes et c’est très vert. Et il y a des moutons et des poules pas loin ça m’a beaucoup surprise ! C’est fou ici, il y a beaucoup de monde, c’est très cosmopolite, très versatile et surprenant. J’adore ça !
Mathilde Gay
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